Iris Brey décrit comment les séries américaines permettent de libérer la parole et la représentation du sexe, malgré certaines résistances sociétales toujours bien présentes. Forte de son doctorat et spécialiste de la question du genre, l'auteure divise son livre en quatre chapitres : La parole et le sexe ; Le plaisir ; Violences ; Queer.


C'est quelque chose dont on ne parle pas assez et qui est pourtant sous nos yeux constamment : la sexualité. Dès lors, pourquoi est-ce toujours vu comme problématique que des personnages (féminins) énoncent leur envie de baiser, soient filmées en train d'orgasmer et/ou d'avoir leurs règles ? Pourquoi ne montre-t-on pas les corps qui se cherchent, les fous rires, les moments de gênes, les dents qui se frottent, l'humanité quotidienne dans les scènes de sexe ? Pourquoi ne dessine-t-on pas plus de clitoris sur les murs des écoles ? Pourquoi peut-on, aux USA, dire autant de fois que l'on veut le mot "pénis" dans un épisode de série, alors que celui de "vagin", prononcé une fois, est considéré indécent, comme l'explique la créatrice de Grey's Anatomy, Shonda Rhimes.


Sont alors listées et citées les séries mettant en images des femmes qui se masturbent (The Deuce, The Girlfriend Experience), des cunnilingus (How to Get Away with Murder), des orgasmes féminins (Masters of Sex), la sexualité des femmes ménopausées (Tell me you love me), les règles (Better Things), des scènes de viol représentées du point des victimes et non érotisées pour la nudité présente (The Handmaid's Tale), une sexualité fluide (The L World, Transparent, Sense 8), etc.


Par là-même, l'auteure est convaincue que la fiction et ses personnages peuvent changer le monde, et notre capacité à voir, vivre et sexualiser. C'est ce qui s'appelle "l'agency" d'un.e personnage, où les actes deviennent nécessairement politiques (renvoyant à Jacques Guilhaumou). Ainsi, faire place à des oeuvres où un female gaze devient notre regard, de manière consciente, dans une quête de sensation et une réinvention de nos désirs, est de l'ordre du politique. Sortir du male gaze ne considérant les femmes que comme des objets sexuels aussi. Aller voir ailleurs, ne pas remplacer une "dictature visuelle" par une autre (objectifier les hommes comme des objets sexuels), mais découvrir d'autres manières de désirer.


Iris Brey s'appuye sur des ouvrages et d'autres écrivain.e.s connu.e.s pour étayer son propos. Par rapport aux mots dits sur le sexe, elle prend comme référence Foucault, ou encore Monique Wittig, qui théorise très bien comment la langue est conçue par des hommes pour des hommes, en structurant autant nos rapports sociaux que sexuels. Les auteur.e.s nous poussent par là à nous poser les questions essentielles quand on regarde des images : qu'est ce qu'on raconte, qui raconte et comment est-ce raconté ?


L'universitaire n'est cependant pas dupe, et ne fait pas simplement l'éloge de ces très nombreuses séries américaines. Dans beaucoup d'entre elles, même si la volonté et l'envie y sont, cela reste compliqué de montrer ou parler de sexe au féminin, sans se neutraliser par "les codes hétérosexuels de l'homme blanc". Certains shows, sous couvert de passer des messages positifs sur la sexualité, vont pourtant véhiculer des idées différentes, par les représentations des femmes et de leurs corps, comme la honte d'elles-mêmes ou du plaisir à prendre au sexe.


Dans Sex and the series, est démontré de manière agréable et limpide que parler et montrer une sexualité au féminin est possible et que des séries comme Sex and the city (à laquelle le livre rend hommage), Girls, I love Dick et tant d'autres rendent le futur plus scintillant. Pour paraphraser une citation de Monique Wittig dans le livre : "Employer un mot, l'écrire ou le parler a sur la réalité matérielle un impact". Il faut espérer qu'Iris Brey, grâce à sa plume et son clavier, puisse aider à ces transformations sociétales autour de la représentation du genre et de la féminité sexuelle.

Cambroa
8
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le 3 janv. 2022

Critique lue 134 fois

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