Récemment j’ai revu d’une traite (avec mes enfants) la prélogie de Star Wars – comprenez les épisodes I, II et III produits entre 1999 et 2005. A l’époque de leur sortie, je les avais quelque peu boudés. J’avais trouvé "La Menace fantôme" trop insipide et puéril, trop Disney, comparé à la noirceur shakespearienne de "L’Empire contre-attaque" que j’avais vu en salle à l’âge de 7 ans, en 1980. Mais de les revoir ainsi à la suite, j’ai trouvé cette trilogie finalement plutôt intéressante et même très « adulte ». La manière dont Lucas nous démontre en effet comment un système démocratique peut basculer du jour au lendemain dans le totalitarisme « en douceur » m’a pour le moins convaincu. D’autant que j’y ai décelé beaucoup de références à l’histoire passée et récente, de l’avènement du Troisième Reich en Allemagne en 1933 au glissement liberticide de l’Amérique post-11 septembre.

Sur ce, le hasard veut que je tombe sur l’ouvrage "Star Wars, le côté obscur de l’Amérique" d’un certain Thomas Snégaroff (2018 – une réédition d’un précédent titre que j’avais déjà repéré, intitulé "Je suis ton père : la saga Star Wars, l’Amérique et ses démons" paru en 2015). Disons-le d’entrée, ce type d’ouvrage est tout à fait ma came. Ce n’est pas pour rien que j’ai écrit il y a plus de dix ans "Une histoire politique du cinéma" et "Hollywood, cinéma et idéologie". En plus, c’est écrit simplement et sans prétention snobinarde, c’est érudit et bien pensé, bref c’est pédagogique. Bon, après le propos n’invente pas non plus la théorie de la relativité, mais il pose définitivement les bons mots sur ce que l’on savait ou soupçonnait depuis longtemps.

De quoi est-il donc question ? Déjà, que les fans ne s’attendent pas à une analyse en bonne et due forme de leur saga préférée – se référer plutôt pour cela au "Star Wars : anatomie d’une saga" de Laurent Jullier (Armand Colin, 2005). Non, dans cet essai-ci, l’univers Star Wars ne sert que de support à une réflexion transhistorique sur la politique et l’idéologie américaines, depuis l’époque de la guerre d’indépendance jusqu’à aujourd’hui en passant par la Guerre froide, le Maccarthysme ou la guerre du Vietnam (ex. « la peur au service de la dictature » ou « la guerre comme croisade »). Mais cette grande histoire est en même temps éminemment constitutive de l’univers de la saga. Snégaroff nous montre en effet combien le personnage de Palpatine fut inspiré par le président Richard Nixon, puis par George Bush Jr. L’Empire du mal, lui, s’inspirerait du nazisme (les Stormtrooper tiendraient leur nom des Sturmtruppen allemands de 14-18) et du stalinisme (Dark Vador serait une sorte d’alter-égo de Beria, le chef sanguinaire du NKVD, la police politique stalinienne). Les rebelles pour leurs parts seraient à rapprocher des Pères fondateurs de l’Amérique vertueuse des pionniers. Et la « guerre des étoiles » qui oppose le Bien (les rebelles et leurs alliés Jedi) et le Mal (le côté obscur de la force) serait une réplique de la guerre de Sécession. Mais il va de soi que les références s’avèrent bien plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord, dans la mesure où depuis la première version du scénario datant de 1973, Lucas a intégré au fil du temps et de son imagination fertile de multiples autres sources d’inspiration issues de ses sensibilités politiques, des grands mythes grecques (Oedipe), des légendes celtiques (Perceval), de la Bible (Luke n’est-il pas l’Elu ?) et bien sûr de la pop-culture (comics, films de samouraïs, Flash Gordon…). Par exemple, selon l’auteur, les Ewoks du Retour du Jedi ne seraient autres que de proches cousins des Viêt-Cong. Ainsi si la trilogie de 1977-1983 restait très marquée par la sale guerre du Vietnam (1965-1975), la prélogie de 1999-2005 le serait elle par celle d’Irak (2003-2011).

Toujours est-il que, vu sous cet angle, Lucas apparait soudainement comme un fin connaisseur de l’histoire géopolitique occidentale, mais aussi comme un liberal (un progressiste, à savoir un homme de gauche), un antifasciste, un altermondialiste, voire carrément un anticapitaliste. Il faut dire qu’il est, en tant que baby-boomer (né en 1944), un enfant de la contre-culture des sixties et des seventies, un opposant à la guerre du Vietnam, un contestataire nourri des luttes de la jeunesse et des minorités – autrement dit, le produit d’une époque où il était de bon ton d’être conscient et de s’intéresser à la politique. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’il ait mis toutes ses convictions dans ce qui allait devenir l’œuvre de sa vie.

Oui, mais, Snégaroff ne s’arrête pas en si bon chemin, et a aussi l’intelligence de rappeler combien Star Wars participa de la révolution néoconservatrice qui mènera au pouvoir Ronald Reagan en 1981. Car l’histoire de Star Wars c’est avant tout une histoire d’hommes, de combats homériques entre chevaliers Jedi et Sith, et de relations père/fils – à ce propos l’auteur pointe avec justesse combien la princesse Leia en est réduite à un rôle d’objet (de désir) et jamais de sujet, alors même qu’elle est censée posséder elle aussi la Force (cet état de fait changera avec la dernière trilogie, et le personnage de Rey, sortie entre 2015 et 2019). Par ailleurs, reprenant les conclusions de Peter Biskind ("Le Nouvel Hollywood", 2001) Snégaroff rappelle que la première trilogie s’achevait par la restauration de l’ordre patriarcal (si malmené par les contestataires années 60-70) via la réconciliation de Dark Vador (le père) et de Luke Skywalker (le fils). Sans compter, bien sûr, que Star Wars fut, avec d’autres ("Les Dents de la mer", "Rocky", "Superman"…) le fossoyeur du Nouvel Hollywood, autrement dit d’un certain cinéma adulte et critique, et qu’il contribua à l’avènement des blockbusters consensuels et conservateurs du cinéma reaganien (synonymes de divertissement, de happy-end, de héros virils et vertueux, de manichéisme... bref de soft power à la gloire de l'Amérique triomphante) . C'est peu de dire qu'un Lucas en cache souvent un autre, car tout, au départ, destinait pourtant à classer "La Guerre des étoiles du côté de la contre-culture" nous dit Snégaroff. "Un projet d’abord qui s’est fait contre les grands studios. Lucas a lui-même avoué qu’on pouvait lire le film comme une métaphore du cinéma hollywoodien : les rebelles étant les cinéastes indépendants cherchant la liberté face à d’énormes studios maléfiques et liberticides incarnés par l’Empire ». Or on en est bien loin aujourd'hui, à l'heure où la saga est devenue l'une des multiples franchises de l'Empire Disney (avec Marvel entre autres).

Ce petit ouvrage, qui se lit d’un trait, a ainsi le mérite de rappeler que le succès de nombreux films hollywoodiens repose sur leur complexité et s’avèrent moins simplistes qu’on le dit souvent, quitte même parfois à être traversés de positions antagonistes (comme j’ai pu le montrer par exemple au sujet de la saga Tarzan ou du plus récent "Black Panther"). Par ailleurs, dans le cas présent, et pour reprendre les mots de Snégaroff, « ce qui est frappant, c’est le caractère visionnaire des deux trilogies. L’épisode IV (1977) anticipe de quelques années la révolution reaganienne tandis que l’épisode I (1999) précède également de quelques années les attentats du 11 septembre et les réactions politiques qui s’ensuivirent ». Avant d’ajouter : « Au fond, Anakin est une parfaite métaphore de l’Amérique. Né avec tous les talents, le jeune garçon (les Treize colonies) parvient à se libérer des chaînes de l’asservissement (l’indépendance arrachée à l’Empire britannique) mais, en grandissant, il se fait happer par l’obscurité n’ayant pas su vaincre sa peur ». A méditer, aujourd'hui plus que jamais...


RégisDubois
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le 15 févr. 2023

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