Je suggère au lecteur qui trouverait ce volume de Théâtre Panique de lire la seule réplique du tableau XVIII du Bébé de Monsieur Laurent, merveille d’humour noir sans tabou qui reste par ailleurs aussi une histoire avec son exposition, son intrigue et son dénouement : si elle lui plaît, la pièce lui plaira.
L’argument de la première pièce est un bébé cloué à une porte devant lequel chacun y va de son commentaire : à seize ans, j’aurais adoré ! Comme j’aurais sans doute adoré Hara-kiri si j’avais connu Choron. Donc, ne pas s’attendre à quoi que ce soit de bon goût. Parce qu’en plus, à la fin de chacun des cinquante et quelque tableaux qui constituent ce « mélodrame », un « chœur antique » propose un quatrain à mi-chemin entre les aphorismes de feu Siné à la télévision grolandaise et les dictons qui concluaient chaque épisode de feue l’émission Strip-tease : « Aux jeunes le verbe, | C’est-à-dire l’école ; | Aux vieux les proverbes | En buvant de l’alcool. » (XXVIII), vous voyez le genre ? Là-dedans, un art de la formule lapidaire, chaque ligne important.
Mais ce que je n’aurais sans doute pas saisi à seize ans, c’est l’implicite du Bébé de Monsieur Laurent : ce ne sont pas de minces plaisirs que de mesurer les justifications tordantes du père, d’imaginer la puissance des conventions sociales qui lient les personnages, de savourer les poncifs que ceux-ci déploient devant ce bébé « cloué sur une porte, pas du tout dans la position du Christ, ni du missionnaire » (p. 15). Il faut avoir rencontré de tels connards ordinaires – et / ou en être un à ses heures – pour mesurer l’étendue des dégâts.
En guise de postfaces, on trouve un tordant « Débat télévisé » dans lequel les journalistes hostiles à la pièce présentent de si pauvres arguments qu’elle n’a même pas besoin d’être défendue, suivi d’un authentique et (involontairement) très drôle « Extrait d’une étude médico-légale sur l’infanticide », et précédé d’une « Indication pour la mise en scène » précisant notamment qu’« il n’est pas nécessaire de clouer vraiment le bébé de M. Laurent » et dans laquelle Topor propose une forme de théorie théâtrale (« J’aime assez que l’on joue faux. Cela s’appelle distanciation, je crois »)…


Fatidik et Opéra a beau être une parodie, ses seize (ou quinze) reprises restent ennuyeuses. En grande partie parce que le genre parodié n’est plus du tout d’actualité – le roman-photo, avec sa mauvaise réputation, ses intrigues ineptes et ses dialogues plus ineptes encore (dans la dixième reprise : « Fatidik. Vous autres, Orientales, avez une conception étrange de l’amour. | Opéra. Nous, nous prenons simplement notre temps ! »).
Autant les arguments très minces du Bébé de Monsieur Laurent et de Vinci avait raison sont étirés à leur maximum viable, autant c’est presque l’inverse dans Fatidik et Opéra : ces dialogues d’une cocotte et d’un marlou bas-de-gamme, qui se terminent inexorablement par « Fatidik baise Opéra » ou « Opéra baise Fatidik » sont sous-exploités, malgré une pseudo-intrigue rocambolesque qui rebondit d’une reprise à l’autre, d’où une parodie qui finit par tourner à vide.


Disons-le d’entrée : Vinci avait raison est une histoire de prolifération merdeuse relativement peu fine et qui se finit dans le sang. Évidemment la scatologie n’est ici qu’un prétexte. Prétexte d’une part à un jeu avec le théâtre lui-même : « Il doit y avoir quelque chose de pourri dans la tuyauterie. » (I), « Et cessez d’en faire une tragédie ! » (IV), « Il y a quelque chose de pourri en Suède » (V)… Prétexte aussi à une satire sociale dont la cible de prédilection est cette bourgeoisie à la Chabrol – ou dans une tout autre optique à la Sempé –, faite de bon goût, de ségrégation sexuelle, de certitudes et de crainte du qu’en-dira-t-on. Tout un univers s’écroule donc sous les effets conjugués de goguenots bouchés, d’une chiasse et de colombins mystérieux, parce que chaque personnage accuse les autres, et en les accusant se dévoile, et en se dévoilant montre ce que son milieu a de pire.
Cette pièce-là, je l’aurais adorée, toujours sans comprendre Topor, entre trois ans et demi et sept ans…

Alcofribas
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le 23 août 2016

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