Bien que Thérèse Desqueyroux soit une lecture plaisante, on peut s'étonner de le voir figurer dans un classement des douze meilleurs romans du premier XXe siècle où ne figure pas Voyage au bout de la nuit. Il y a, à n'en pas douter, de multiples bonnes choses dans T. D.. La structure narrative, assez ingénieuse, révèle progressivement Thérèse et (dans une moindre mesure) les autres personnages. Ces derniers sont toujours éclipsés par Thérèse, étrange singularité du roman, femme qui ne désire rien, consumée par le “goût de l'absolu” que chronique Aragon dans une des pages les plus incroyables d'Aurélien. Sa négation s'attaque avec une constance particulièrement remarquable à sa féminité : Thérèse subit les brimades père misogyne, nie toute sensualité, et refuse la maternité en négligeant sa fille, Médée des Landes.
Thérèse n'est pas non plus, malgré les parallèles (la vie d'une femme de la bourgeoisie de province qui s'ennuie et finit par user de l'arsenic avec une libéralité dangereuse pour la santé) qui viennent forcément en tête, une Emma Bovary : personnage à la fois plus négatif dans son fonctionnement (en cela qu'il refuse les sirènes de l'évasion) et plus positif du point de vue du lecteur (parce qu'il se montre d'une impitoyable lucidité envers lui-même), elle est in fine un symbole étonnamment féministe : là où Flaubert touchait à ce thème presque malgré lui, par le biais l'intelligence extra-personnelle du roman, il semble impossible que F. Mauriac n'ait pas conçu sa Thérèse comme un archétype de la femme oppressée.
Par ailleurs, en dépit de ces qualités (je pourrais également mentionner la clarté d'un style sec mais très lisible), T. D. est par moment peut-être un peu trop “magistral” (ce en quoi je comprends la critique de Sartre, qui prétendait que Mauriac dominait ses personnages d'infiniment haut, se faisait Dieu pour eux, sans y souscrire entièrement), et son économie vire par endroit au dénuement. Un moment agréable, pas inoubliable.