L'athéisme n'est pas une position philosophique facile à défendre dans un monde forgé dans le feu des Livres Saints, et dont les habitants ne se rendent pas compte à quel point leurs habitudes de vie les plus profanes ne sont que des émanations à peine émaciées d'une théocratie primitive. Que, pour reprendre la terminologie de Michel Foucault, l’épistémè, c'est-à-dire le prisme à travers lequel le monde est perçu par une civilisation, reste fondamentalement chrétien dans un monde laïcisé et dans lequel la religion n'a plus ni le pouvoir ni le succès qu'auparavant, cela est évident au regard de ces nombreuses valeurs bibliques transformées en principe laïc par la Philosophie des Lumières, le socialisme et le communisme. Que les philosophes athées, hédonistes, matérialistes et atomistes ont été effacés de l'Histoire par Platon et ses successeurs chrétiens, cela est juste également et il faut se plonger dans la Contre-Histoire de la Philosophie du même auteur pour s'en rendre compte. Que les véritables penseurs athées ne soient que très récents, commençant par l'Abbé Meslier, en passant par D'Holbach, Feuerbach et Nietzsche, et qu'ils se sont construits plus contre l'ancien monde que pour un autre, nouveau, cela ne fait pas plus de doute. Que ce monde, qui paraît areligieux, se radicalise et retourne dangereusement s'abîmer dans les affres du fondamentalisme pour combler le vide nihiliste d'un monde immanent et capitaliste en manque de transcendance, cela ne peut plus faire de doute. La plaidoirie de Michel Onfray pour la fondation d'une nouvelle matière, l'athéologie, dans l'optique de l'établissement d'un monde post-chrétien qui se détache réellement et radicalement de l'ancien monde, et qui tranche de la même façon avec un monde nihiliste et capitaliste, séduit, mais est-ce convaincant ?
Si j'avais lu Décadence, livre plus tardif du même auteur, Traité d'Athéologie a en comparaison quelque chose de naïf et de très idéaliste pour un matérialiste de renom. Michel Onfray ouvre ce livre avec la description du désert et se fait la réaction très intéressante selon laquelle tous les monothéismes du Monde sont nés dans la chaleur torride et intense des dunes désertiques. Les religions abrahamiques ne seraient que des oasis rafraîchissants à l'image de ces arrière-mondes paradisiaques présents dans tous les livres Saints qui semblent exister en dehors de l'Histoire. S'il n'est pas nécessaire de détailler de nouveau la pensée athée de Michel Onfray, puisque cela a été fait dans des critiques précédentes, il convient tout de même de rappeler que l'auteur prend un parti hédoniste en critiquant des corpus de pensées doloristes, humiliants, haineux du corps, de la femme, des homosexuels et des jouisseurs. Cela n'est clairement pas dépourvu de tout fondement et ces passages sur la non-existence de Jésus, des troubles mentaux et sensuels de Saint-Paul et du théocrate Constantin ne peuvent que convaincre. Ces longues figures de style qui vitriolent ces religions en mal de pureté, avec ses velléités hygiénistes, misogynes et intolérantes envers la culture, l'art, la philosophie et l'intelligence, me réjouissent énormément, me persuadent, mais je n'ai malheureusement pas vu l'ombre d'un concept, d'une proposition, d'une alternative à ce monde effrayant que le philosophe dépeint.
Deux critiques fondamentales peuvent être apportées au travail de Michel Onfray. Tout d'abord, l'idée de refuser de traiter comme l'avait fait George Minois dans Histoire de l'Athéisme des courants critiques de la religion non-athées comme les déistes (Voltaire), les panthéistes (Spinoza) ou même les laïcs franc-maçons fait perdre au travail de sape de la religion des contributions magnifiques et même, n'en déplaise à Onfray, fondamentales. Non pas que l'Abbé Meslier est sans doute le philosophe le plus exceptionnel des Lumières Françaises, que Nietzsche a démasqué le caractère mortifère de la religion chrétienne, et que les athées soient absents dans le champ philosophique, mais quand bien même, sans ceux qui ont fait une critique déiste de la religion, qu'en serait-il des athées aujourd'hui ? Malheureusement, pas grand chose. La deuxième critique essentielle est sans doute cette volonté du post-chrétien, sans aucune définition de celui-ci, accompagnée dans le même temps d'une dénonciation de toute alternative déjà existante (communisme marxiste et capitalisme libéral nihiliste). Michel Onfray semble critiquer sans aucune nuance l'héritage chrétien, notamment dans le Droit et les valeurs de compassion, de pardon et d'empathie, et sans distinguer ces valeurs positives des réelles valeurs négatives (haine du corps, tentation totalitaire, misogynie, homophobie, idéalisme, dualisme, obscurantisme). Michel Onfray semble être aveuglé par le projet nietzschéen de la fondation d'une nouvelle civilisation. Beaucoup de vœux pieux pour des parousies à venir. A celui qui fait table rase du passé, gare aux aveuglements! Un monde athée non nihiliste est souhaitable, mais pas sans les autres, pas sans ceux qui croient. Si une guerre (même intellectuelle) faisait s'affronter les croyants aux non-croyants, les immanents et les transcendants, les hédonistes et les ascétiques, les sceptiques et les entêtés, l'Histoire nous apprend, désespérée, que ce sont toujours les seconds qui gagnent. Ils construisent des mausolées avec les os de ceux qui ont eu l'audace de nier Dieu et croient se purifier avec le sang des incroyants. L'Homme simple ne peut pas ne pas croire : le néant lui est insupportable, sa mortalité tout aussi horrible, sa faiblesse horripilante. Dieu, c'est le contraire de tout ce qu'est l'Homme simple : immortel, fort, omnipotent, omniscient, transcendant et parfait. Comment pourrait-il s'en passer ?
Terminons avec cette citation de Nietzsche qui ouvre le livre de Michel Onfray : « La notion de « Dieu » a été inventée comme antithèse de la vie - en elle se résume, en une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute haine de la vie. La notion d'« au-delà», de « monde-vrai » n'a été inventée que pour déprécier le seul monde qu'il y ait - pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche ! La notion d'« âme », d'« esprit » et, en fin de compte, même d'« âme immortelle », a été inventée pour mépriser le corps, pour le rendre malade - « sacré » - pour apporter à toutes les choses qui méritent le sérieux dans la vie - les questions d'alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu'il fait - la plus épouvantable insouciance ! Au lieu de la santé, le « salut de l'âme » - je veux dire une folie circulaire qui va des convulsions de la pénitence à l'hystérie de la rédemption ! La notion de « péché », a été inventée en même temps que l'instrument de torture qui la complète, la notion de « libre arbitre », pour brouiller les instincts, pour faire de la méfiance à l'égard des instincts une seconde nature. »