Désormais c’est acté : Jésus a existé.
Tout le monde le sait. Tout le monde le dit.
C’est ce que disent les profs de fac à leurs étudiants.
C’est ce que disent les manuels scolaires du secondaire et que tous les profs reprennent.
Et voilà même maintenant que l’historienne youtubeuse Manon Bril s’y met. (Et aux dires d’Histony dans l’une de ses récentes vidéos, elle a fait du super bon boulot, donc bon…)
Bref, ça ne se discute plus aujourd’hui : Jésus a existé.


Mais comment sait-on que Jésus a existé ?
Profs comme Manon Bril, tout le monde se cache derrière un consensus scientifique qui repose essentiellement sur un ouvrage de référence– vous l’avez compris – il s’agit de ce « Un certain juif, Jésus » ; un ouvrage publié en quatre tomes de 500 pages chacun.
Une « œuvre-somme » diraient certains…
Une œuvre d’ailleurs que personne ne semble avoir lu en France… sauf Manon Bril.
…Et moi.


Et franchement, je dois bien l’avouer, la vidéo de Manon Bril sur ce bouquin, elle m’a foutu un terrible cafard.
Cette femme est historienne – antiquisante de surcroît – et elle délivrait tranquillement les conclusions de cet ouvrage sans que, visiblement, elle n’y voie aucun problème.
J’en suis carrément venu à me demander si on avait lu le même livre mais pourtant si si, c’est bien le cas. C'est même carrément la même édition.
Alors j’ai quand même pris la peine de le relire, histoire de voir si je n’étais pas fou.
Mais non. Visiblement le problème ne vient pas de moi.
Et histoire de pouvoir vous présenter l’énorme problème de ce bouquin – sur lequel repose aujourd’hui tout un consensus scientifique hein ! – je me suis permis de prendre des notes, comme ça on va pouvoir discuter sérieusement de ce qu’il y a VRAIMENT dans ce « Un certain juif, Jésus » de John P. Meier.


A dire vrai, tout est dans l’introduction et la première partie du tome 1.
Une centaine de pages très éclairantes.
Une centaine de pages qui rend la lecture de tout le reste absolument superflue.
Et je sais qu’en disant cela beaucoup vont se mettre déjà à grimacer en s’imaginant que mon analyse va être trop partielle pour être fiable. Mais attendez de voir ce que nous disent déjà les cent premières pages pour ensuite produire un jugement sur mon propos.
Franchement jugez sur pièce. Jugez les arguments qui vont suivre…


Certes, à se fier aux premières lignes, l’ouvrage de John P. Meier a quelque-chose de rassurant et d’excitant intellectuellement. Dès le premier paragraphe les intentions sont posées clairement, il s’agit de trouver le « Jésus historique », c’est-à-dire comme Meier le dit lui-même le « Jésus tel qu’on peut le découvrir, l’atteindre, le reconstruire au moyen des outils scientifiques de la recherche historique moderne. » (p.11)
Moi dans cette phrase, il y a trois mots qui me plaisent déjà beaucoup : « historique », « scientifique » et « recherche ».
Mieux encore, dès la phrase suivante arrive enfin le mot-clef que j’attendais depuis le départ. Le mot SOURCES.
Effectivement, en recherche historique, tout est conditionné par les sources.
C’est d’ailleurs le premier mot du titre de ce tome 1 : « les sources, les origines, les dates ».
Donc en commençant ainsi, cet ouvrage fait vraiment les choses comme il faut les faire.
Il est rassurant.


En effet, pour ceux qui l’ignoraient, le travail d’historien, comme tout travail scientifique, nécessite l’application d’un protocole rigoureux afin d’établir ce que l’on qualifiera un peu cavalièrement la « vérité historique ». En effet c’est cavalier car le niveau de certitude des historiens dépendra toujours – un peu comme pour une enquête policière – des éléments authentiques et concordants qui sont mis à leur disposition. Or ces éléments, en Histoire, on appelle ça des « sources ».
Et qu’on s’entende bien sur ce qu’on appelle des sources : une source c’est une trace directe laissée par l’objet qu’on entend étudier. Par exemple, si j’entends étudier l’Empire romain, tout ce qui aura été directement produit et laissé par l’Empire romain sera susceptible d’être une source : ça peut être des documents d’époque bien sûr, mais ça peut être aussi des bâtiments, des ustensiles du quotidien, des ossements. Même un graffiti produit au temps de l’Empire romain peut par exemple être exploité comme source.
Par contre une chronique qui me parle de l’Empire romain et qui aurait été écrite par un moine du XIIIe siècle ne serait pas une source, du moins pas une source directe. Eventuellement on pourrait l’utiliser pour voir si cette chronique évoque des éléments qui nous sont inconnus et qui seraient susceptibles de nous guider vers de nouvelles sources qu’on n’a pas encore trouvées mais rien de plus. Car en soi, un tel témoignage aussi lointain ne peut être considéré comme une source fiable. Après tout rien ne permet de savoir sur quoi cet auteur s’appuie pour affirmer ce qu’il affirme. Il ne fait peut-être que retranscrire des on-dit qui sont le produit de légendes, de déformations, voire peut-être même tout simplement d’invention…


Or, c’est vrai qu’à première vue, sur ce domaine-là, l’ouvrage de John P. Meier a quelque-chose de vraiment très rassurant.
Quelque soit la page qu’on prend, on se retrouve avec un propos qui ne quitte jamais ses sources.
Il les cite en permanence, les analyse, discute les traductions possibles (puisque la très grande majorité du temps ses sources sont textuelles), il les confronte…
Bref, d’apparence, il opère là un vrai travail d’historien : un travail méthodique et rigoureux.
Ça n’a absolument pas l’aspect d’un essai libre sur la vie de Jésus. D’ailleurs cet ouvrage est clairement destiné à la communauté scientifique plutôt qu’au grand public tant sa lecture pourra paraître laborieuse pour ceux qui ne s’intéresseront qu’aux conclusions plutôt qu’aux méthodes.


Seulement voilà, les méthodes, questionnons-les justement.
Quand Meier parle des sources à partir desquelles il va travailler, un premier constat assez singulier s’impose, c’est que des sources sur Jésus, il n’en a pas. Il le reconnait d’ailleurs lui-même.
Page 31, il dit : « Ce juif marginal d’une province marginale à l’extrémité orientale de l’empire n’a laissé aucun écrit de sa main, […] ni aucun archéologique ou objet de sa fabrication. »
Une affirmation qui rentre en résonnance avec ce qu’il disait déjà à la page 28 : « L’immense majorité de ses actes et de ses paroles, l’histoire raisonnablement complète de Jésus réel est irrémédiablement perdue pour nous aujourd’hui. »
« Immense majorité » dit-il, ce qui ne veut donc pas dire « totalité ».
Alors soit, mais sur quelles sources s’appuyer pour aller chercher ce peu de Jésus qu’il nous resterait encore ?


La réponse arrive page 39, quand John P. Meier nous dit : « La principale source de nos connaissances sur le Jésus historique constitue aussi notre principal problème, à savoir les quatre évangiles que les chrétiens reçoivent comme une partie du Nouveau testament. »
Pourquoi ces sources constituent-elles un problème ?
Meier l’explique quelques lignes plus bas :
« Les évangiles ne sont pas d’abord des œuvres historiques, au sens moderne du terme. Leur but premier est d’annoncer et de fortifier la foi en Jésus. […] De la première à la dernière ligne, leur manière de présenter Jésus vient de leur foi. »
Meier vient ici de procéder à ce qu’on pourrait appeler une critique externe de la source (ce qui est indispensable quand on traite une source textuelle), c’est-à-dire qu’il s’est interrogé sur qui a produit la source, avec quelle intention, avec quelle méthode et surtout avec quelles connaissances.
Or Meier vient de le reconnaître : cette source n’est pas fiable. Elle est purement mythologique.
D’ailleurs cette source n’est pas contemporaine de Jésus non plus puisqu’on considère aujourd’hui que l’évangile le plus ancien (celui de Marc) date au plus tôt de 50 après J.-C.
Ajoutons d’ailleurs à cela que ces sources ne se recoupent pas toujours ou bien qu’elles se recopient parfois entre elles au mot près (donc il n’y a ni multiplicité des témoignages, ni concordance).
Autant d’éléments donc pour considérer que rien ne peut être exploité dans ces sources mythologiques tant qu’aucune autre source fiable ne puisse en confirmer le contenu.
Ça, c’est la conclusion que se devrait de faire tout historien raisonnable.
La preuve d’ailleurs, quand les historiens analysent « l’Iliade » et « l’Odyssée », ils n’en déduisent pas qu’Agamemnon, Ulysse, Hector et tous les autres ont réellement existé. Vu qu’on ne dispose aujourd’hui d’aucune source valable susceptible de valider leur réelle existence, on s’en tient à l’idée qu’ils sont sûrement des personnages fictionnels, de la même manière qu’on considère tout texte évoquant Zeus comme la preuve de l’existence d’un mythe autour de Zeus mais pas de Zeus en lui-même.
C’est tout bête ce que je dis là, mais c’est juste la BASE.


Pourtant, alors que page 39 Meier venait de reconnaître que les évangiles ne pouvaient être considérés autrement que comme des ouvrages de foi, que parvient-il à affirmer dès la page suivante ?
« On peut être pratiquement sûr que le ministère de Jésus a commencé après son baptême par Jean au bord du Jourdain. »
« Pratiquement sûr » ?
Les mots ont leur importance.
Sur quoi repose ce degré de certitude ?
Pas de renvoi de notes. Pas d’explication.
Rien.


La seconde source évoquée, c’est Paul de Tarse.
« En dehors des quatre évangiles, le Nouveau testament nous donne fort peu d’informations sur Jésus. Si l’on en juge par la quantité de ses écrits, c’est Paul qui serait la source d’information la plus vraisemblable. » (p.43)
OK… Paul de Tarse produit une information vraisemblable… Soit.
Mais pourquoi son information est qualifiée de « vraisemblable » ?
Meier s’explique dans les lignes qui suivent :
« Il ne fait pas de doute en effet qu’il est le seul auteur de matériaux néotestamentaires à être issu de la première génération chrétienne. Etant donné que Paul centre sa théologie sur la mort et la résurrection du Jésus terrestre, il se trouve tout simplement que les événements et les paroles du Jésus terrestre ne jouent pas un rôle important dans ses lettres. Et, surtout, ses lettres n’avaient généralement pas pour but de transmettre une première connaissance sur la vie de Jésus, car celle-ci était supposée connue et n’était rappelée que lorsque nécessaire. »
Donc… Si j’en suis le raisonnement de John P. Meier, Paul est une source vraisemblable parce qu’il a l’air de raconter quelque-chose qui est vraisemblablement connu de ses auditeurs.
D’accord… Mais c’est la preuve de quoi ça ?
Quand Homère intègre Athéna ou Poséidon dans ses poèmes, il fait comme Paul. Il ne les explique pas. Il part du principe que les spectateurs connaissent déjà. Puis-je donc pour autant considérer qu’Athéna et Poséidon sont des personnages historiques ?
Désolé mais non.
Je ne vois vraiment pas en quoi ça rendrait soudainement le propos de Paul valide.


Le problème se retrouve d’ailleurs avec toutes les autres sources – non-chrétiennes celles-ci – qui sont évoquées.
C’est notamment le cas quand John P. Meier aborde la question de l’historien juif Flavius Josèphe.
Alors certes, il concède qu’un passage de « La guerre des Juifs » est une forgerie opérée a posteriori par un moine copiste zélé (p.47-48), mais juste derrière ça, on se retrouve avec deux pages pour essayer de démontrer que les deux autres passages où Flavius Josèphe évoque Jésus sont sûrement authentiques et n’ont pas été déformés.
Soit. Mais j’ai envie de répondre à ça : « et alors ? »
Quand bien même ce texte a bien été écrit de la main de Flavius Josèphe, sans déformation, qu’est-ce que ça prouve ?
Qui est Flavius Josèphe ? Quand écrit-il ses textes ? Avec quelles intentions ? Avec quelles méthodes ? Avec quelles connaissances ?
Comme le dit lui-même Meier, cet extrait jugé authentique de Flavius Josèphe a été rédigé dans « Les antiquités juives » en 94 après J.-C.
Ce gars n’est pas un contemporain de Jésus.
En plus ce gars est loin d’être fiable !
Lire un peu de Flavius Josèphe c’est se rendre compte que, pour un historien, il aime bien arranger l’Histoire à sa sauce pour servir ses intérêts politiques du moment.
C’est découvrir aussi qu’il peut produire des erreurs factuelles contredites par d’autres sources d’époque.
Flavius Josèphe n’est clairement pas un historien au sens moderne du terme.
Il n’a pas de méthode. Il raconte un peu ce qu’il veut.
Du coup peut-il être vraiment considéré comme une source fiable ?


Alors certes, on pourrait se dire : « tout ce que raconte Flavius Josèphe n’est pas forcément faux. Et le nom de Jésus n’est pas arrivé par hasard sous sa plume. En plus, il n’est pas chrétien, donc il n’avait pas intérêt à inventer Jésus. »
C’est vrai.
Mais on peut justement se questionner sur la manière dont ce nom est arrivé sous sa plume.
Flavius Josèphe désigne quand-même Jésus sous le nom de « Jésus-appelé-Messie » (p.48). Or, il me semble que seuls les chrétiens appelaient Jésus le Messie.
Donc s’il faut en déduire que Flavius Josèphe tire ses informations de chrétiens qui se sont contentés de lui réciter leur dogme, moi je dis que ça ne prouve plus grand-chose de l’historicité de Jésus.
C’est d’ailleurs même tout le problème de ces sources qu’on pourrait qualifier d’indirectes.
On a beau en avoir plusieurs qui disent la même chose, ça ne prouve rien. Parce qu’après tout on peut très bien avoir plusieurs témoins qui disent la même chose parce qu’ils ont été influencés par les mêmes mystifications populaires.


Et cette remarque qui est valable pour Flavius Josephe, elle est aussi valable pour Tacite.
Tacite, c’est l’historien romain de la fin du Ier siècle et du début du IIe qui parle à un moment de Jésus dans ses « Annales ».
Là encore un texte qui mérite d’être transcrit et commenté.
« Pour anéantir la rumeur, Néron supposa des coupables et infligea des tourments raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la foule appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice. Réprimée sur le moment, cette détestable superstition perçait de nouveau, non seulement en Judée où le mal avait pris naissance, mais encore dans Rome, où tout ce qu’il y a d’affreux et de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle. » (p. 61).
Qu’en dit Meier ?
Il dit que « malgré quelques vagues tentatives destinées à montrer qu’on a là une interpolation chrétienne dans le texte de Tacite, le passage est de toute évidence authentique. Non seulement on le retrouve dans tous les manuscrits des Annales, mais la tonalité très antichrétienne du texte rend pratiquement impossible une origine chrétienne. »
Soit…
…Sauf que d’une part Meier relègue en note de fin de livre une information essentielle : le fait que les plus anciens manuscrits des Annales dont on dispose sont des copies datant du XIe siècle, toutes écrites par des moines, ce qui n’est quand-même pas anodin.
…Sauf aussi que ce passage qualifie Pilate de « procurateur » alors qu’un consensus existe aujourd’hui sur le fait qu’à l’époque la Judée ne pouvait pas être dirigée par un procurateur mais bien par un préfet. L’utilisation du mot « procurateur » révèlerait donc soit d’un rajout a posteriori soit d’une approximation de Tacite qui montrerait que ses propres sources à lui ne sont pas fiables (…là aussi, comme Josèphe, peut-être s’est-il contenté de répéter ce que des croyants chrétiens leur ont dit de leur dogme.)
…Et sauf qu’enfin, Meier parvient à se contredire à seulement quelques lignes d’intervalle car après avoir validé l’authenticité « évidente » de ce texte en s’appuyant sur sa « tonalité très antichrétienne » il précise malgré tout que « Tacite est capable d’éprouver un minimum de compassion à l’égard de gens injustement accusés. » (p. 62)


Je ne vais pas m’étendre davantage sur la manière dont Meier procède à la critique et à l’analyse de ses sources car, pour tout le reste, on est dans la même veine. Les autres sources juives, les Agrapha, les Evangiles apocryphes les matériaux de Nag Hammadi : rien ne constitue dans son corpus une quelconque source directe. Rien ne permet non plus de dire que ces textes sont autre chose que de simples preuves comme quoi les mythes chrétiens se répandent. Et pourtant, malgré cela, Meier spécule dessus en adoptant le ton de celui qui doute et qui déduit alors qu’en fait, depuis le départ, Meier ne fait qu’une seule chose.
Il biaise.


D’ailleurs, des biais et autres sophismes, on en trouve quand-même un peu partout dans son bouquin, et ça devrait quand même alerter les esprits les plus critiques d’entre nous.
Page 14 par exemple, il dit : « Nul ne peut nier l’influence de Jésus sur la culture occidentale, quelque soit les convictions religieuses que l’on partage. »
C’est vrai, mais ça ne prouve pas pour autant que ce Jésus soit réel. Après tout, le Père Noël aussi a une influence sur la culture occidentale. Dois-je en conséquence partir du principe qu’il existe vraiment ?
Page 50, il ose présenter une controverse scientifique de la sorte : « La première position a des gens respectables pour la défendre, mais ne semble pas constituer l’opinion majoritaire. La plupart des opinions récemment exprimées se situent quelque part entre la seconde et la troisième position. »
Mais moi quand je lis ça je saute au plafond !
Je m’en fous de savoir où se trouve la majorité ou bien de savoir si les gens qui tiennent des positions sont respectables ou non. Ce que je veux savoir c’est quelle démonstration se tient le plus ! Je veux des arguments FACTUELS appuyés sur une confrontation de SOURCES !


Non mais comment on peut NE PAS voir ce qui cloche dans cette manière de faire là ?
Meier ne cesse de faire les choses à l’envers ! De la première à la dernière ligne !
Il ne part pas des sources pour déduire une vision réelle du monde. Non, il part d’une vision présupposée du monde – celle où Jésus a forcément existé – et à partir de là il va chercher des sources qui vont dans son sens.
En science ça porte un nom cette façon de faire, c’est ce qu’on appelle un « biais de confirmation ». Et c’est proscrit.
C’est proscrit parce qu’en science, « possible » ça ne veut pas dire « certain ».
En science, « possible » ça veut dire « peut-être ou peut-être pas. »
Et elle est là la subtilité INDISPENSABLE à intégrer. Elle est dans le peut-être PAS.


Alors attention, le but ici n’est pas de chercher à démontrer que Jésus n’a pas existé.
Il a peut-être existé et s’il a existé peut-être que certains éléments du récit biblique se rapprochent d’une certaine forme de réalité. C’est vrai : c’est possible.
Mais peut-être que Jésus n’est qu’un mythe, une allégorie, un « Verbe » comme aiment le qualifier parfois les auteurs antiques.
Peut-être est-il l’icône prophétique dont un mouvement juif avait besoin car, dans la culture juive, les prophéties ne peuvent être véhiculées que par des prophètes.
Il n’est d’ailleurs pas inenvisageable non plus qu’en cette période de crise où les prophètes ont sûrement pullulé, Jésus soit une reconstruction a postériori d’une multitude qu’on nous présente sous forme d’unité.
Toutes ces versions sont possibles, plausibles, probables…
Mais la réalité c’est que, sans source, on ne pourra jamais scientifiquement trancher.


Au moment de justifier son ouvrage, Meier disait s’étonner, page 12, qu’en 1968, la nouvelle édition du « Jerome Biblical Commentary » « n’avait accordé aucune place à une étude approfondie sur le Jésus historique » et qu’en conséquence « il [lui] fallut partir de zéro. »
Ce que Meier n’avait pas compris à cette époque-là – et cela sûrement parce que (on aurait tendance à l’oublier) il N’EST PAS historien – c’est qu’en Histoire, quand il n’y a pas de source directe et/ou quand il n’y a pas de source indirecte fiable, il n’y a tout simplement pas d’Histoire possible. D’où l’absence d’étude approfondie.
D’où l’absence d’étude tout court d’ailleurs…


Seulement voilà, ça, John P. Meier ne l’a pas compris.
Et il ne l’a pas compris parce qu’il ne veut surtout pas le comprendre.
Car si pour être un vrai historien il faut savoir laisser la place à toutes les possibilités, laisser la place au doute et surtout fermer la porte à toute certitude, John P. Meier lui préfère sauver quelques convictions parce que ça arrange sa foi.
Et le pire c’est qu’il l’avoue !
Il le dit dès la première page de son ouvrage !
Il suffit juste de le lire pour s’en rendre compte.
Il dit TEXTUELLEMENT ceci :
« Pour expliquer à mes collègues chercheurs ce que j’ai l’intention de faire dans cet ouvrage, j’imagine souvent une sorte de conclave non papal. Supposons qu’un catholique, un protestant un juif et un agnostique, tous historiens honnêtes et bien au fait des mouvements religieux du Ier siècle de notre ère, se trouvent enfermés dans les entrailles de la bibliothèque de Harvard, soumis à un régime alimentaire spartiate et interdits de reparaître à l’air libre avant d’être parvenus à élaborer un document consensuel sur l’identité et le projet de Jésus de Nazareth en son temps et en son lieu. Cet argument devrait être fondé strictement sur des sources et des arguments purement historiques. Il en sortirait une formule de concorde laïque. »
Alors certes on parle d’historiens honnêtes et on promet de ne s’en tenir qu’à des sources historiques, mais à côté de ça on se rend aussi bien compte que la possibilité que Jésus ne puisse pas exister n’est même pas envisagée une seule seconde !
Idem, on voit bien que le but de ce travail n’est pas de découvrir la vérité mais d’arriver à une vision consensuelle ; à une formule de concorde sur laquelle sauront se retrouver un catholique, un protestant, un juif et un agnostique. On remarquera d’ailleurs que l’avis des athées, des sceptiques, des scientifiques, au fond on s’en fout un peu. Ceux-là ils ne sont pas invités au conclave de John Meier.
Le seul doute qu’on autorise dans son conclave, c’est celui des agnostiques. Un doute assez éloigné du doute scientifique…


Le pire c’est que je suis persuadé que ce bon John se pense de bonne foi ! (Sans mauvais jeu de mots.)
Je pense vraiment qu’il est convaincu qu’il a accompli un travail honnête.
Seulement voilà, dans les faits, il y a une grande différence entre être honnête et être sincère.
Et surtout il y a une grande différence entre chercher le consensus et chercher la vérité.
La vérité, aujourd’hui, c’est que sur Jésus, on n’a rien. Ce qui veut donc dire que, dans les faits, on ne peut avoir aucune certitude de son existence.
Alors je conçois qu’une telle posture intellectuelle puisse effrayer un croyant, mais ce n’est pas une raison pour que, afin de rassurer les foules, la science accorde un Pass VIP à Jésus alors qu’elle ne l’accorde pas à Zeus, Mithra ou Gilgamesh.


Parce que c’est bien de cela au fond dont il est question avec cette problématique de l’existence de Jésus aujourd’hui en Histoire.
Encore maintenant, en 2020, Jésus dispose d’un Pass VIP auprès de la communauté scientifique, dans les collège et lycées, dans les facs, dans les ouvrages de vulgarisation et même sur YouTube…
Alors vous allez me demander pourquoi ?
Eh bah moi, face à cette question, j’aurais envie de vous répondre : « …mais ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. »


Allez voir les profs de collèges, de lycée et de fac et demandez leur.
S’ils enseignent que Jésus a réellement existé, demandez-leur sur quelles certitudes ils s’appuient, sur quels ouvrages, sur quelles sources…
Allez voir Manon Bril et demandez-lui pourquoi, quand elle s’est attaquée à l’ouvrage de Meier, elle l’a lu comme parole d’Evangile (ho ! ho !) sans avoir un seul instant tiqué sur ses grossières erreurs méthodologiques ?
Et puis tant qu’à faire, allez demander à Clément Michel, de la chaîne « Hygiène mentale » comment il a pu valider le travail de Manon Bril, lui qui ne cesse de nous expliquer que la science c’est aussi reconnaître qu’on ne sait pas, et que sans preuve on n’a aucune raison de croire…
Ce sont eux qui ont les réponses à vos questions. Pas moi.


En attendant moi je vais rester là, à attendre.
Si des contre-arguments viennent, franchement, je suis preneur.
En toute honnêteté, ça ne me dérangera pas de tourner casaque si quelqu’un parvient à m’apporter des arguments factuels convaincants. Limite je ne demande que ça parce que là, en l’état, la situation me fait limite un peu flipper.
Voir autant de personnes intelligentes et cultivées se plier à une opinion dominante juste parce que… – Bah juste par qu’elle est dominante ! – moi je trouve ça vraiment inquiétant.


Malgré tout, quand bien même je reste ouvert sur la question de Jésus, je dois bien avouer que par contre, au sujet de ce « Un certain Juif, Jésus » mon opinion est désormais toute faite.
Ce livre aura beau être le fruit d’un travail dantesque que tous saluent unanimement, moi je ne juge cet ouvrage qu’au regard de sa pertinence historique et de sa rigueur scientifique.
Or en science il n’y a pas de demi-mesure.
Soit une démonstration est valide, soit elle ne l’est pas.
Et, en ce qui me concerne, ce n’est clairement pas un Jésus qui me fera changer l’eau en vin.

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le 8 juin 2020

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