Avec ‘Un crime sans importance', Irène Frain braque pudiquement les projecteurs de la littérature sur le récit d'un manque de réactions judiciaires et policières face à la violence dont souffrent les petits quartiers périphériques des grandes villes.
Ce n'est pas un roman dont on pourrait imaginer tirer un scénario pour un épisode de la série ‘Meurtre à …'. Loin d'être une fiction, ce crime sans importance est, pour l'autrice, la possibilité de partager son incompréhension totale face à la lenteur de la magistrature à diligenter une enquête sérieuse et aboutie à propos d'un meurtre, celui de sa soeur aînée, massacrée par un tueur qui se révélera sériel.
Loin d'être une thérapie par l'écriture, ce récit glaçant, à l'écriture fluide et addictive, est un cri lancé à un monde qui banalise le fait divers et ne se préoccupe des affaires sordides que si elles s'impriment sur papier glacé ou font le buzz sur les réseaux sociaux en mettant en cause des personnalités du monde politique, de la haute finance, du sport ou des coulisses du spectacle.
Quand la mort, en banlieue, d'une petite vieille ne dérange plus personne, quel est encore le sens de la justice ? Qu'en est-il du regard empathique que mérite toute famille touchée par ce type de drame ? Peut-on admettre l'idée d'un silence radio total de la part du monde judiciaire quand les jours sans réponse broient le quotidien de ceux qui ont besoin de comprendre ? Acceptons-nous l'idée que certains n'ont pas le droit de savoir, de comprendre, de mettre des mots sur le drame vécu ? Ce serait officialisé l'inégalité des citoyens face à la Justice de la République. Cette porteuse de balance aux yeux bandés relevant bien de la ‘res publica', la ‘chose publique', non ?
Irène Frain, avec beaucoup de talent, une plume sensible, pointe la détresse de ceux qui veulent comprendre, de ces familles, ces proches qui se heurtent à l'espace-temps judiciaire qui n'est pas celui de la désespérance dans l'attente d'une réponse. Son récit est un terrible constat. Que d'inertie encore dans la mobilisation des moyens aptes à fournir une vérité !
Comment accepter l'idée que des petites gens de banlieue, des travailleurs honnêtes qui ont traversé le temps en accomplissant leurs métiers, leurs destins avec modestie mais vérité, soient oubliés quand ils endossent, bien malgré eux, le statut de victime de meurtre ? Comment accepter l'idée que leurs proches restent là, sur le bord de la route, orphelins de reconnaissance du mal perpétré, privé de toute reconnaissance de ce statut d'amputés de la vie et qu'ils en soient réduits à redouter le silence cruel d'un classement sans suite d'une enquête qui peine tant à démarrer ?
Toutes ces questions sont profondément présentes dans le récit d'Irène Frain. Un livre d'une puissance qui devrait déranger les responsables de la République. Un livre à lire, sans hésitation.

Créée

le 29 déc. 2020

Critique lue 233 fois

3 j'aime

1 commentaire

Critique lue 233 fois

3
1

D'autres avis sur Un crime sans importance

Un crime sans importance
feursy
6

Un roman sans importance.

Quatorze mois après le meurtre de sa soeur, la narratrice s'interroge. le mystère reste entier, on ignore à quelle heure l'agression a eu lieu. Denise avait soixante-dix-neuf ans, elle était en...

le 20 déc. 2020

2 j'aime

Un crime sans importance
jmlaffont
4

Critique de Un crime sans importance par jmlaffont

"J'ai tenté de lui rendre vie." Ainsi Irène Frain explique-t-elle la raison de ce récit dans lequel elle exprime ses sentiments à l'égard de sa soeur-marraine de 79 ans décédée après avoir été...

le 3 oct. 2022

1 j'aime

1

Un crime sans importance
Nadouch03
8

Critique de Un crime sans importance par Nadouch03

Une lecture qui fait froid dans le dos, quand on sait qu'elle est tirée d'un fait divers touchant de très près l'autrice, puisqu'il s'agit du meurtre sauvage de sa soeur par un cambrioleur...

le 9 janv. 2021

1 j'aime

Du même critique

Charlotte
François_CONSTANT
8

Critique de Charlotte par François CONSTANT

La chevauchée tragique de la Mort qui pousse à vivre. La Mort qui s’approche, s’accroche, fait peur, étouffe, éloigne, rapproche. La Mort qui force Charlotte Salomon, juive allemande, à devenir sa...

le 20 nov. 2014

18 j'aime

4

L'Amour et les forêts
François_CONSTANT
8

Critique de L'Amour et les forêts par François CONSTANT

À travers « L’AMOUR ET LES FORÊTS », paru chez Gallimard en 2014, je découvre l’auteur Éric REINHART. Belle découverte ! Bénédicte Ombredanne est une lectrice de cet auteur. Ayant apprécié son...

le 27 févr. 2015

17 j'aime

4

L'Art de perdre
François_CONSTANT
8

Critique de L'Art de perdre par François CONSTANT

« L’art de perdre » écrit par Alice ZENITER est la troublante histoire du silence de deux nations conduisant à la perte de paroles, donc de mémoire, de trois générations, celles d’Ali, Hamid et...

le 7 nov. 2017

14 j'aime