Suite maritime et mystique des Neiges bleues

Après Les Neiges bleues qui relatait avec une extraordinaire poésie son enfance en Sibérie, où sa famille polonaise avait été déportée en 1939, Piotr Bednarski poursuit sa narration autobiographique avec la réalisation de son rêve de toujours : devenir marin. Il a désormais vingt-quatre ans. Ses parents sont morts en exil et c’est avec ses grands-parents qu’il est revenu dans les Marches de l’Est, cette partie orientale de la Pologne attribuée à l’Ukraine et à la Biélorussie en 1945. Lui qui, depuis ses cinq ans, a d’abord vécu déplacé avant que ce ne soit le déplacement des frontières qui fasse de lui un étranger sur sa terre natale, a décidé de partir encore, appelé par le vent du large.


Il ira d’engagement en engagement, de chalutiers en cargos, goûter le sel de la vie en même temps que celui de la mer. Son apprentissage commence dans la violence, quand l’équipage de son premier bateau se croit maudit par la présence à bord du Juif qu’il est. Ce ne sera donc pas seulement à la rudesse de la vie en mer, avec ses campagnes de six mois à rendre fou entre tempêtes infernales, brouillards et icebergs, prisonnier d’« un camp de travail d’où on ne s’échappe pas, à moins de mourir » - et en effet, omniprésente, la mort n’y pardonne pas la moindre erreur -, avec ses escales noyées dans l’alcool pour boucher « les trous béants, ouverts par la réalité » et se « garder de la folie », mais également au tout aussi cruel et dangereux commerce des hommes - et des femmes -, que, dans le huis clos de la vie à bord, et de port en port, Petia va devoir se frotter.


Toujours au fil de courts chapitres stroboscopiques qui, en moins de deux cents pages, réussissent à brosser un tableau d’ensemble d’une impressionnante densité, la langue magnifique de poésie de Piotr Bednarski nous entraîne dans quelques bas-fonds des comportements humains qui ne parviennent pas à obscurcir la part la plus lumineuse de l’humanité à laquelle il s’accroche. Il y a d’abord la formidable affection qui le lit à ses grands-parents, touchants dans la simplicité de leur sincérité et dans leur dignité de personnages meurtris ; puis quelques liens forts d’amour, de solidarité et d’amitié ; enfin, d’une façon qui pourra déconcerter, une très présente quête spirituelle qui vient peupler la vie de Petia, en particulier quand l’alcool ou la fièvre s’en mêlent, de rêves mystiques et de conversations avec anges et démons.

Si les immenses qualités de plume de l’auteur et l’intensité de ses pérégrinations maritimes rendent cette lecture aussi fascinante qu’agréable, ses divagations mystiques ont chez moi suffisamment rompu le charme pour qu’hélas, la magie des Neiges bleues fonde quelque peu sous l’effet du sel contenu dans ce second volet. Un goût de sel n’en reste pas moins un grand livre, empli d’un indéniable talent.


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Cannetille
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le 14 mai 2023

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