Aux éditions La Découverte paraît Une histoire (critique) des années 1990, placée sous la direction de l’historien des idées François Cusset. En investissant les champs politiques, économiques, sanitaires, idéologiques, sportifs ou culturels, une douzaine d’auteurs majoritairement issus du monde académique prennent le parti de cartographier une décennie qui bouleversa le monde à plus d’un titre…


Il y a mille manières d’aborder les années 1990. Le monde politique a été traversé par d’importantes tensions, menant notamment aux manifestations de Seattle, elle-même engendrée par une mondialisation vectrice d’inégalités et privant en partie les États de leurs capacités d’action. Si l’actualité a été marquée par la première guerre du Golfe, le génocide rwandais, les conflits en ex-Yougoslavie, l’effondrement de l’Union soviétique puis la libéralisation malheureuse des pays qui la constituaient ou les crises économiques à répétition, un mouvement de fond, plus durable, annonciateur de la crise de 2008, était alors en marche. La déréglementation des mouvements financiers et l’« exubérance irrationnelle » (pour reprendre les termes d’Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale durant toute la décennie) ont patiemment fait leur œuvre, en Europe comme partout ailleurs. En France, les années 1990 sont celles de la fin des capitalisations croisées, de la privatisation de France Télécom, de Jean-Marie Messier et des (nouveaux) renoncements socialistes. En Europe, elles se caractérisent par les attaques sur les monnaies nationales, les critères de Maastricht censés assurer la solvabilité des États et enfin l’Euro, au nom duquel les politiques économiques expansives furent abandonnées.


Sur ces événements, leur consanguinité et leur descendance, une analyse critique ne pouvait être que salutaire. À la lecture de cet essai s’impose l’idée d’un renoncement politique et d’une distribution du pouvoir (économique et décisionnel) vers le marché. Mais les années 1990 ont également changé la face du monde culturel : les séries télévisées modernes y ont fait leurs armes (Emmanuel Burdeau s’épanche sur Les Soprano), les acteurs-réalisateurs se sont multipliés (Clint Eastwood en parangon), le rap s’est démocratisé en alliant posture virginale (dénonciations plurielles) et outrance (luxe, sexe, violence), les reality shows ont envahi l’espace télévisuel, Internet a vu le nombre de ses utilisateurs croître de manière exponentielle, l’art contemporain a toujours plus fait débat… Le sport a évolué selon un double mouvement : l’image des sportifs a été lissée et/ou récupérée par le marketing (Yannick Noah remplace John McEnroe), tandis que le dopage s’est répandu et a provoqué plusieurs scandales, le moindre n’étant évidemment pas l’affaire Festina sur le Tour de France 1998. Impossible de traiter du sport dans les années 1990 sans évoquer le sacre mondial des Bleus et la France black-blanc-beur qui s’est ensuivie. Problème : trois ans plus tard, lors d’un France-Algérie resté tristement dans les annales, « le symbole explose » en raison d’un « déchaînement de rancœurs ».


Le chapitre « Vie / mort » déconstruit les années 1990 en une litanie de maux tous plus anxiogènes les uns que les autres : sida, hépatites virales, Ebola, maladie de la vache folle, poulets à la dioxine, insecticides, dopage… Il atteste aussi de l’intégration du patient, parfois via ses représentants, dans la médecine moderne. Enfin écouté et pas seulement pris en charge, ses ressentis font l’objet d’une attention nouvelle, née dans le sillage du sida et des actions de mouvements tels qu’Act Up. Dans « Sexe / genre », Beatriz Preciado explique comment sexe, genre et sexualité ont parfois été déconnectés et dans quels termes la réflexion sur ces questions a pu être menée, par exemple par Jean Baudrillard (signes parasités), Fredric Jameson (corps postmodernes) ou Janice Raymond (femmes artificielles). D’autres sujets, comme la pornographie, la justice cathodique, la danse, les rave parties, l’arrêt Bosman ou les actionnaires, figurent également en bonne place dans cette passionnante et plurielle Histoire (critique) des années 1990.


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Cultural_Mind
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le 9 juil. 2020

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