« Je ne suis ni un amoureux, ni même un amant : je suis un possesseur de beauté doublé d’un utilisateur de physionomie. Toutes les raisons que j’avais de rester auprès de toi étaient mauvaises (étaient terribles, étaient sordides, étaient malhonnêtes). »


Cette subconscience trop consciente d’elle-même, cette ironie glacée qui feint la sincérité crucifiée jusqu’à la ressentir, c’est la marque de fabrique Moixienne. Le sens du bon mot, des phrases lapidaires, de l’aphorisme percutant, une capacité à retranscrire au scalpel des émois pris sur le vif, l’on trouve de tout cela dans cet ouvrage, toujours pas de roman mais encore un énième journal intime, ici ou là parsemé de fulgurances allant du lisible régulièrement émouvant au risible le plus pathétique en un va-et-vient incessant, en un ressentiment aux mille flagellations qui se pare des atours de la confession contrite, Moix étale sa médiocrité humaine trop humaine, non sans l’habiller d’une élégance compensatrice qui aspire à restaurer une estime de soi régulièrement attaquée par un sadisme sourd. Cette simple lettre d’amour est surtout l’occasion d’installer en public un égocentrisme SM plus convaincant que les cinquante nuances de gris pour Lidl mais trop solipsiste pour prétendre hisser un bloc de transcendance auquel l’auteur prétend pourtant assez douloureusement hisser sa prose irrégulière, enjolivée, écorchée, bernée par son propre style. Une lettre authentiquement moderne, dans sa duplicité retorse, dans ses contradictions névrotiques, dans sa finitude acide et son absence d’amour vivable.


« Ce qui était agréable c’est que, le plus souvent, tu ne me raccrochais pas au nez : tu posais le téléphone et vaquais à tes occupations ménagères, repartais lire, regarder un film, jouer avec ton fils, tandis que je hurlais mes excuses désespérées dans le vide qui ne résonnait que de la grande indifférence du monde. Mes mea culpa pouvaient ainsi durer des heures. Au fond de moi-même, presque à mon insu, comme si une partie non dupe de moi-même s’était détachée de mon chagrin pour le contempler depuis une branche de frêne, je sentais qu’un étrange bouffon, un sale petit comédien riait aux éclats. »


Extrait de : Yann Moix.  Une simple lettre d'amour. Grasset. 2015.

ThomasRoussot
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le 15 sept. 2015

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