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Viva Cinecittà ! Ce titre porte en lui une double indication. Sur l’objet d’étude de Philippe d’Hugues, mais aussi sur sa passion consommée pour le cinéma italien. Celle-ci, scrupuleusement restituée, se fond dans douze portraits-fleuves : Alessandro Blasetti, Mario Soldati, Vittorio De Sica, Roberto Rossellini, Luchino Visconti, Federico Fellini, Michelangelo Antonioni, Pier Paolo Pasolini, Vittorio Cottafavi, Luigi Comencini, Francesco Rosi et Ermanno Olmi.


Milan, Turin, Gênes, Rome. Le cinéma italien a longtemps connu plusieurs pôles d’activité importants, se disputant une primauté fuyante. Le premier apogée de l’industrie transalpine eut lieu en 1915 et coïncida avec des métrages tels que Christus et Jérusalem délivrée. Il fut néanmoins de brève durée, puisque tous les studios sortirent exsangues de la Première guerre mondiale. Une morosité qui se prolongea jusqu’à la fin des années 1920. La loi de 1931 prévoyant de taxer les films étrangers et d’octroyer des aides aux productions italiennes leur permit toutefois de se relever. Tout comme le fascisme, qui saisit (tardivement) l’importance du septième art : de 12 films en 1930, on culmina à 119 en 1942, tandis que Vittorio Mussolini, le fils du Duce, fonda la célèbre revue Cinema en 1936.


Chantier-phare du fascisme italien, inauguré en 1937 par Benito Mussolini en personne, le complexe romain Cinecittà, également appelé « Hollywood sur Tibre », comporta « plus de soixante hectares, des dizaines d’édifices, plus de vingt studios de tournage ». C’est sous l’occupation allemande que la France vit le cinéma italien prendre le pas sur Hollywood. Philippe d’Hugues, historien du cinéma et ancien conseiller scientifique au CNC, rappelle que deux écoles s’affrontèrent pendant et après la Seconde guerre mondiale : le néoréalisme (déjà) encouragé par les tenants du fascisme et le calligraphisme des opposants antifascistes, un « cinéma ultra-formaliste esthétisant », dont Mario Soldati et Renato Castellani furent d’éminents ambassadeurs.


Alors que Cinecittà devint un temps un camp de réfugiés sous la férule des Alliés, les affaires repartirent après la Seconde guerre mondiale – notamment parce que les bases étaient bien en place et que les règlements de compte politiques demeuraient rares. Le néoréalisme s’imposa alors au monde, même s’il préexistait à la reconstruction du pays. Puis vint ce que l’historien Jean Gili appelle « l’âge d’or du cinéma italien », c’est-à-dire les années 1960 et 1970, pouvant se prévaloir d’une production comprise entre 200 et 300 films par an. Les années 1980 et le berlusconisme télévisuel, diffusant partout en Italie plusieurs milliers de films par semaine, sonna toutefois le glas de cette période faste : cinémas dépeuplés et fermés, audience descendant à moins de cent millions de spectateurs par an, production largement amputée. Bientôt, Fellini adressera à Cinecittà un adieu douloureux, à l’occasion d’Intervista, sorti en 1986.


Le cinéma italien en douze portraits


Ces quelques éléments historiques remémorés, Philippe d’Hugues peut se lancer dans le corps du texte : douze portraits étoffés, éclairés à la lumière du contexte sociopolitique, explicitant avec passion tant les cinéastes que leurs œuvres et singularités.


Que penser du communisme et de l’aristocratie présumés de Visconti ? Fellini peut-il se targuer d’être le plus grand cinéaste italien de tous les temps ? Pourquoi son aura a-t-elle fini par être écornée ? En quoi Le Désert rouge de Michelangelo Antonioni s’érige-t-il en précurseur d’une écologie encore balbutiante ? Blow-Up est-il vraiment le chef-d’œuvre du réalisateur ? Qu’est-ce que le néoréalisme doit à Blasetti ? Les mues de son Pinocchio constituent-elles l’un des morceaux de bravoure de Luigi Comencini ? En quoi les films cités sont-ils « les miroirs et les véhicules » d’un « nouveau climat politique » ? Mario Soldati et Pier Paolo Pasolini doivent-ils être considérés comme des écrivains-cinéastes ou des cinéastes-écrivains ? En quoi Pasolini fit-il scandale dans une société italienne conservatrice ? Pourquoi, malgré une Palme d’Or à Cannes en 1978, Ermanno Olmi reste-t-il méconnu ? Dans quelle mesure peut-il se réclamer d’un héritage rossellinien ?


Toutes ces questions, parmi mille autres, irriguent Viva Cinecittà !. Le livre n’est pas seulement une déclaration d’amour à l’endroit du cinéma italien, c’est aussi une précieuse et abondante mine d’informations, dont les éboulements s’expriment en personnages, en intrigues, en contextes, en conditions de tournage et en (r)évolutions techniques… Philippe d’Hugues ne se contente pas de peindre douze visages du cinéma italien, il explore aussi la société dans laquelle ces derniers se sont exprimés et l’industrie qui les a vus naître. Par le truchement de l’emploi d’acteurs non professionnels, par la pénétration des événements sociaux et politiques dans les longs métrages (par exemple de Francesco Rosi), par les formes plurielles de la comédie italienne… C’est tout un versant du cinéma européen, dans son « sanctuaire » romain, que l’auteur décide de mettre à nu, avec plaisir et érudition.


Critique publiée sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 22 mars 2019

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