Inspiré de la critique de Songe à ceux qui songèrent, du même auteur…
Partie intégrante de vingt-six volumes (un titre par lettre de l’alphabet) regroupant chacun vingt-six portraits (un nom par lettre de l’alphabet) autour d’un thème défini, Walking Class Heroes se place à mi-chemin, peut-être faudrait-il dire à tiers-chemin, de plusieurs traditions : celle des biographies express, celle des mélanges thématiques et peut-être celle de l’exercice de style – en gros, entre le Marcel Schwob des Vies imaginaires, le Ben Schott des Miscellanées et le Georges Perec de La vie mode d’emploi (1).
Ça pourrait être fastidieux. Ça ne l’est pas, notamment grâce au style – beaucoup plus fluide et digeste que celui de la phrase qui ouvre cette critique. L’auteur sait brosser des esquisses aussi laconiques que justes, comme lorsqu’il explique que « Ceux qui croient que la vie des saints relève de la psychiatrie peuvent trouver dans celle de Jean de Dieu une parfaite illustration de leur opinion. » (p. 59). Il alterne sans pédanterie ni effets de manche, parfois dans un même paragraphe, entre portrait particulier et digressions générales : ainsi, Samuel Hearne « était calme, il était obstiné et il ne savait pas que son sens du devoir pût connaître de limites. D’un point de vue pratique, il avait moins de qualités » (p. 49).
Tout ceci est donc assez borgesien, finalement. Ce n’est pas un hasard si l’auteur de l’Histoire universelle de l’infamie est cité en toute fin d’ouvrage. Comme Borges, Michéa Jacobi a l’élégance de ne jamais sous-estimer son lecteur, ni le plaisir que ce dernier peut éprouver à s’arrêter pour réfléchir au milieu d’un bouquin comme on s’arrête dans un jardin pour respirer une fleur. Ainsi de cette liste de marcheurs urbains : « Ça commence à la fin du XVIIIe avec Louis-Sébastien Mercier et Restif de la Bretonne, ça dure jusqu’à aujourd’hui avec Éric Hazan, Pierre Marcelle et Daniel Percheron. En passant par Apollinaire, Aragon, Baudelaire, Benjamin, Balzac, Huart, Prévert, Perec, Queneau, de Rochegude, Verlaine, Yonnet et Zweig » (p. 36). Et tout comme chez Borges, le sérieux dans Walking Class Heroes n’exclut pas l’humour, cette autre forme de l’élégance – cf. le passage sur Jacques Roubaud dans la notice consacrée à Camille Querno.
Du reste, il est toujours plaisant de se voir rappeler que la littérature non seulement parle des autres domaines de l’esprit humain (il y a dans Walking Class Heroes des peintres, des sportifs, des papes, des philosophes…), mais qu’elle parle de la réalité de tous les temps. Jusqu’à Robert Korzeniowski et depuis Orrorin tugenensis. Oui.


(1) L’ensemble s’appelle Humanitatis Elementi. Il devrait se constituer de six cent soixante-seize portraits. Le lecteur qui pratiqua autrefois le calcul mental aura remarqué qu’après les lettres X (Xénophiles, 2015), R (Renonçants, 2016) et S (Songe à ceux qui songèrent, 2018), on n’attend donc plus que vingt-deux volumes. S’il faut une autre référence, on peut penser aux 76 clochards célestes ou presque de Thomas Vinau.

Alcofribas
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le 9 juil. 2018

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