Il y a quelques années, Thierry Crouzet a décidé de faire un break, de “débrancher”. Il en a profité pour écrire un livre sur le sujet, mais ce n’est pas de celui-ci dont je vais vous parler. En effet, il a aussi écrit Ya Basta, un essai quelque peu pamphlétaire, manifeste pour l’autogestion en réponse à notre société actuelle.


De l’auteur, je connaissais déjà One Minute et Résistants – ainsi que son blog. Ya Basta est un texte écrit en 2011 (actualisé par un avant-propos en 2016), inspiré des révoltes et révolutions contemporaines, nées du Printemps arabe et qui ont essaimé, notamment aux USA (le mouvement Occupy), en Espagne et en France (avec Nuit debout). Le titre est d’ailleurs emprunté au cri de ralliement des manifestants espagnols.


C’est un texte court et nerveux, en une vingtaine de chapitres, écrit sous licence Creative Commons CC0; c’est un des textes que j’avais récupéré dans l’opération “Space Aliens Support the Strike”. Le cœur de l’ouvrage, ce sont les seize chapitres intitulés “Y’en a marre de…”, qui décrivent une situation contemporaine – si le livre a été écrit au début de la décennie, il reste d’actualité sur beaucoup de points – et propose des solutions pour changer les choses.


Son principal argument, c’est que le monde est devenu trop complexe pour que les modèles à hiérarchie pyramidale fonctionnent encore. Il fait trouver une autre approche: l’autogestion.


En gros, Thierry Crouzet suggère de créer des modèles alternatifs qui concurrenceraient les systèmes existant et finiraient par les remplacer. Et, surtout, de le faire en évitant comme la peste d’avoir des chefs, des responsables, des porte-paroles: laisser les personnes intéressées travailler comme elles l’entendent à un but commun. Il existe désormais des outils, notamment de communication, qui permettent de gérer au mieux cette complexité sans passer par une centralisation et/ou par une hiérarchie.


Un des éléments que j’ai apprécié dans Ya Basta, c’est si le propos est techniquement révolutionnaire, le ton est lui résolument anti-révolutionnaire. Le texte appelle certes à un changement radical de société, mais il le fait en prônant des voies réformistes.


Son argument est que renverser les structures en place n’amènera qu’à l’émergence de nouvelles structures identiques ou très similaires aux anciennes. En clair: voici le nouveau chef, pareil que l’ancien. En construisant des alternatives parallèles aux anciennes structures, on peut faciliter un passage en douceur.


Alors, oui, c’est un peu naïf et je vois assez facilement plusieurs problèmes qui pourraient s’y opposer. J’ai presque l’impression que les modèles dominants commencent à voir le danger et sont en train de mettre en place des outils – surveillance généralisée, politique sécuritaire, contrôle des médias, contrôle de la population – pour tuer dans l’œuf toute envie d’autogestion.


Néanmoins, j’ai trouvé dans Ya Basta un texte qui m’a beaucoup plus parlé que d’autres pamphlets du même genre – comme L’insurrection qui vient, À nos amis ou Premières mesures révolutionnaires – que ce soit dans la forme ou dans le fond. Il y a également pas mal d’éléments dans ce texte qui se recoupent avec le roman Walkaway – même si je suis à peu près certain que Cory Doctorow ne l’a pas lu non plus.


(En fait, je me dis que si, un jour, j’avais envie de passer un autre diplôme universitaire en sociologie / littérature comparée / politique, l’anarchie et l’autogestion dans les littératures fictionnelles de Cory Doctorow et les essais de Thierry Crouzet et du Comité invisible pourraient faire un sujet intéressant.)


Avec une cinquantaine de pages au format papier et un prix en numérique de zéro, Ya Basta est une lecture intéressante et stimulante pour ceux qui se disent qu’un monde de merde n’est pas une fatalité. Ou pour ceux qui souhaitent l’imaginer – ça ne m’étonnerait pas qu’on en retrouve des bouts dans de futurs chapitres de Progressions, tiens!


*Article précédemment publié sur https://alias.erdorin.org *

SGallay
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le 15 juin 2018

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