Dans une petite ville d'Amérique, Myra Lee, treize ans, est l'aînée d'une fratrie de six enfants. Obéissante et très mûre pour son âge, elle aide sa mère à s'occuper des plus jeunes. Son seul plaisir : une sortie hebdomadaire au Diner pour lire en cachette. C'est là qu'elle rencontre Mickey, dix-neuf ans, blond, prévenant, et joueur de base-ball professionnel. Ce charmant conte de fées vole en éclats page trente-huit lorsque retentissent les sirènes des ambulances. Il y avait pourtant des indices, des phrases sibyllines qui auraient dû m’alerter, mais elles ne prennent sens qu'à la fin du chapitre. Le ton est donné, et ça fait froid dans le dos.
Très gros coup de cœur pour ce roman tout en nuances. Les chapitres s’enchaînent, le style est fluide, on passe d’un personnage et d’une époque à l’autre sans jamais se perdre dans l’histoire. L’auteur voulait "rendre hommage à [s]a mère et examiner comment une famille en apparence normale (...) pouvait se retrouver en contact avec cette frange terrifiante des Etats-Unis." (p. 501) On sent qu'il va se passer des choses terribles, pourtant, tout paraît tranquille. En cela, A la table des loups m'a rappelé certains romans de Stephen King, le fantastique en moins.
"Il est des tournants irréversibles dans la vie, et il était face à l'un d'eux." (p. 446) Des tournants, des moments de bascule, il y en a plusieurs dans ce roman. Adam Rapp étudie comment une famille américaine lambda est gangrénée par le mal sur plusieurs générations.
Au-delà des faits racontés, inspirés pour partie de la vie de la mère de l’auteur, plusieurs questions traversent ce roman : quelle part occupe l'hérédité dans le mal qui est en nous ? Est-on responsable de ses actes quand on a soi-même été une victime dans son enfance ? (« De toute évidence, les racines du sycomore étaient malades à force d'être ainsi imprégnées de vice. » - p. 463) A trop exiger d'un enfant, ne le pousse-t-on pas vers le mal ? Est-il bien ou mal de faire arrêter un innocent pour le sauver des griffes d'un prédateur ? Refuser de voir, choisir par faiblesse d'ignorer l'évidence, est-ce être coupable ? Les loups sont nombreux dans cette histoire, plus ou moins facilement repérables, plus ou moins dangereux. Tous apportent des bribes de réponse, sans toutefois que l’on puisse clore définitivement la question. Car, après tout, même les loups ont leurs faiblesses.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique privilégiée.