Ces derniers temps, j’ai du mal avec les romans.
Je m’en lasse vite. Souvent trop longs, trop lisses, trop bavards ou trop désincarnés. Pour le coup, c'est certainement un livre aussi simpliste que celui-ci qui allait me faire dire le contraire...
Et pourtant!
Il fallait sans doute un roman écrit aussi simplement, avec des personnages aussi caricaturaux que ceux d’Alice au pays des idées, pour me faire mentir.
Mon père venait de le finir. Il me l’a prêté, l'air de rien en se disant que même si c'était "un peu bébé" j'allais y trouver mon compte. J’ai ouvert le livre, juste par curiosité, pour voir où ça allait. Et cent pages ont coulé entre mes mains sans que je m’en rende compte. Il y avait là quelque chose qui m’avait attrapé sans prévenir.
Pas un coup de foudre, mais quand même une étrange familiarité.
Ce livre, je ne l’attendais pas, je n’en avais pas besoin mais il m’a offert un espace que je n’avais pas vu venir. Un lieu de questionnements doux, d’idées qui se baladent au milieu de figures farfelues, un coin de pensée où l’on respire mieux.
J'ai toujours regretté de ne pas avoir eu plus de cours de philosophie à l'école. J'ai vivement comblé mes lacunes, mais j'ai toujours eu envi de revenir sur de bonnes vieilles bases, avec une méthode pédagogique originale et ludique.
C'est clairement ce que vous allez trouver ici!
D'ailleurs, le point de départ est enfantin au possible, pour être le plus pédagogue possible.
Une adolescente qui ne sait pas comment faire une dissertation. Elle doute, s’interroge, rêve, et bascule dans un monde peuplé de concepts, de philosophes et de créatures bavardes. On pourrait croire à un manuel déguisé, un prétexte scolaire. Brian n'est plus dans la kitchen, non, il arbore la figure d'Alice pour nous faire vivre un conte initiatique, une parabole pleine de clins d’œil, d’humour, de malice. C’est peut-être parce qu’il ne cherche jamais à “faire cours” qu’il parvient à toucher et à captiver.
Tout est simple, oui, parfois trop. Les figures sont archétypales, les dialogues un peu surjoués, ce qui est un comble pour un livre composé de 95% de dialogue. Donc de bons vieux dialogue socratique, mais quand même très mal écris, voir simplement maladroits...
Mais ce n'est pas désagréable pour autant Parce que le style est limpide, que l’auteur ne cherche jamais à en imposer, et surtout, parce qu’on sent une vraie affection pour son héroïne. Alice ne devient pas philosophe. Elle devient humaine. Elle apprend à écouter, à nuancer, à rester ouverte.
Elle découvre tandis qu'on apprend à ces côtés de manières très fluides.
C’est aussi un livre qui sait respecter l’ignorance du lecteur. Qui ne te culpabilise jamais de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre. Au contraire, il valorise l’étonnement. Il installe une bienveillance rare dans ce type d’exercice, à mille lieues de la philosophie sèche et arrogante qu’on redoute parfois. J’ai eu cette impression étrange qu’Alice, dans sa naïveté, ouvrait des portes que j’avais oubliées.
Le coup classique du protagoniste qui découvre un nouveau monde et nous qui avançons, presque au même niveau. C’est une lecture sans hiérarchie, sans complexe. Parfait pour ce genre d'exercice.
Au plus elle en apprend et au plus elle semble prendre corps dans le récit, au plus le personnage se met à exister. Ce qui est un sacré tour de force, en plus de nous montrer que ce n'est pas en explorant la philosophie qu'on arrive à atteindre la vérité. Non, au contraire, les questions se multiplies et les pistes de réflexions ne font que s'accumuler. Ce qui est précisément ce vertige qui rend le livre précieux et dans des valeurs de pensés très saines.
Il y a de très beaux moments dans ce voyage. Des fragments où les idées brillent doucement, où la réflexion se fait tactile. Le passage sur l’irréversibilité du mal, sur l’impossibilité de “représenter” certains gouffres de l’Histoire, m’a marqué plus que je ne l’aurais cru. Le livre ne se contente pas d’être une promenade parmi les sages, il ose parler de ce qui nous hante encore, de ce que la pensée ne sait pas toujours recoudre.
On s'attend aussi à ce qui puisse encoder correctement sa mission de vulgarisateur et il le fait à merveille. Certain concepts simples pourraient très facilement perdre les nouveaux/elles venus, comme pour la caverne de Platon et ce livre semble mettre une attention toutes particulière pour introduire en douceur chaque facette de la philosophie.
J'ai l'habitude de conseiller quelques Youtuber pour s'amarrer à cette discipline et je crois que ce livre peut se targuer d'être un digne concurrent.
Et pourtant, on lit tout ça avec une sorte de légèreté. Pas parce que le propos est édulcoré, mais parce que la forme est accueillante. Le texte se picore, sans pour autant se savourer, puisque la forme reste bien trop simple et enfantine. Mais on peut facilement y revenir.
On peut l’oublier un peu, puis le rouvrir au hasard d’une étagère. C’est un livre-boussole, pour rappeler qu’il existe un cap et une base de pensé pour en suite aller plus loin dans tous ces concepts.
Alors oui, tout n’est pas parfait. Certains philosophes manquent à l’appel. D’autres sont abordés en surface. On sent parfois que l’auteur trie. Mais c'est aussi le jeu! à trop vouloir simplifier et classer on y perd un peu en route, mais peut-on blâmer un ouvrage qui se voulait vulgarisateur sur cela? Surement pas!
Ou du moins, pas entièrement...
Car je ne crois pas que ce soit un défaut ici.
C’est un livre tremplin, une amorce, qui a choisit de rester en surface pour le meilleur comme pour le pire. Il ne prétend pas tout dire, mais il donne envie d’en savoir plus. De continuer le chemin ailleurs. D’ouvrir d’autres livres, de croiser d’autres idées, de désapprendre pour mieux comprendre.
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D’autant que ce parti-pris de légèreté n’empêche pas certains moments de basculer dans le grave. Ce qui m'a fait très peur d'ailleurs, arriver quelques chapitre avant la fin... J'imaginais un ton moralisateur et le livre a eu l'élégance de nous le présenter autrement.
Le chapitre sur l’horreur du XXe siècle, sur ce que les idées n’ont pas pu empêcher, ou parfois justifié, m’a glacé. Sans insister lourdement, l’auteur parvient à glisser cette ombre dans le récit. Cette idée qu’on ne peut pas penser le monde sans regarder ses gouffres. Que certaines pages de l’Histoire continuent d’irradier même dans les territoires les plus lumineux de la pensée.
Et qu’on a le devoir d’y revenir, de les affronter, même par la fiction. Oui, on peut encore dire que c'est enfantin, mais j'ai trouvé ça très beau comme touche d'espoir et je crois que c'est la sensation d'espoir qui m'a toujours séduit dans la philosophie. (C'est dire si l'auteur a su me toucher en plein cœur, par moment)
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Je pense que ça peut convenir à beaucoup. Aux néophytes, comme aux plus aguerris, même si les seconds resterons souvent de marbres avec cette forme si simple... Comme un petit cahier de vacance pour les révisions?
Je n’avais pas prévu de lire ce livre. Mais j’ai suivi Alice dans son jardin et comme elle, j’ai glissé de l’autre côté. Là où les idées prennent forme, là où elles se contredisent sans s’annuler, là où penser devient une aventure au lieu d’une contrainte.
On pourrait critiquer la forme pendant des heures, mais je ne trouve pas qu'elle entrave l'objectif premier du livre.
Ce n’est peut-être pas un grand roman. Ce n’est sûrement pas un grand livre de philosophie. Mais c’est un livre humble, qui croit aux idées, qui croit aux lecteurs, qui croit à la possibilité que, même dans un monde pressé, on puisse encore s’arrêter un instant pour penser. Franchement, Papa, ça c’est tout sauf bébé.