On trouve toujours un étrange paradoxe dans les romans de Houellebecq. D'un côté une écriture fluide, captivante, au service d'un propos clair, limpide et une vision du monde pour la moins intéressante (bien qu'hautement subjective, mais bon c'est ce qui fait l’intérêt de l'auteur). De l'autre pour incarner tout celà, des personnages qui sont souvent comment dire... improbables.
Étrangement, ici ce ne sont pas tellement les (més) aventures de ces personnages qui sont improbables, elles sont mêmes finalement assez ordinaires voir banales. C'est plutôt leur profil sociologique qui ne colle pas.
Par exemple dans Anéantir le héros Paul nous est présenté comme étant énarque, inspecteur des finances et proche conseiller du ministre de l'économie. Rien que ça. Bref pas quelqu'un que l'on croise tous les jours. On s'attend donc logiquement à trouver un personnage hors du commun, mais on se retrouve avec un mec complètement banal, certes plutôt cultivé et intelligent, mais qui ne colle pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à l'image que l'on se fait de cette fonction.
Car étant moi-même fonctionnaire, 3 ou 4 paliers en dessous, je sais que ce type de poste rime toujours avec un réseau social forcément trés important et compartimenté. Et là on nous présente un petit bonhomme solitaire, à la vie trés routinière et pratiquement sans interactions sociales dans la sphère privée, en dehors des membres de sa famille. Ces derniers étant d'ailleurs les autres personnages du récit.
Par ailleurs à aucun moment l'aspect "élite sociale", qui devrait être forcément présent avec un tel personnage, n'est vraiment mis en avant dans le récit. Paul aurait tout aussi bien pu être un simple employé. Certes il ne semble pas avoir de problèmes d'argent (encore qu'aucune dépense extravagante ne figure dans le récit) mais bon ce n'est pas incompatible avec un employé qui aurait un peu d'argent d'héritage. Bref, tout celà ne colle pas vraiment.
Son petit frère quand à lui est restaurateur de tapisseries anciennes dans des sites historiques dépendant du ministère de la culture. Ce n'est pas non plus un métier banal. On l'imagine volontiers passionné. Houellebecq a beau nous écrire rapidement que c'est bien le cas, le moins qu'on puisse dire c'est que cette "passion" ne transparaît pas vraiment dans le livre. Le gars a une vie encore plus triste et banale que son frère et c'est même limite un personnage simplet et gentillet (en tout cas vu comme tel par son frère). Ce qui encore une fois ne colle pas à la profession qu'il exerce.
C'est ce genre d'incohérences qui donne un aspect assez bizarre au livre. Et ce n'est pas la première fois que Houellebecq nous fait le coup. Déjà dans son dernier opus Sérotonine l'auteur nous offrait le récit -passionnant par ailleurs- d'un homme d'une quarantaine d'années, pris subitement d'une envie de disparaître de la société, en attendant son éventuel suicide qui intervient à la fin du roman. Sauf que l'homme en question, dans la force de l'âge, semblait avoir tout pour lui (argent, santé, bon travail, vie sexuelle épanouie) et son cheminement existentiel semblait relever d'avantage du caprice que du malheur, donc ca ne collait pas vraiment.
Aprés si on met à part cet aspect un peu surréaliste du livre, auquel j'ai -un peu volontairement- consacré toute ma critique, Anéantir, n'est pas seulement bien écrit, il est aussi loin d'être idiot dans sa réflexion globale sur le monde et trés intéressant à la lecture.
On se demande simplement pourquoi Houellebecq ne se met pas directement en scène lui même, puisque cette vision du monde est de toute évidence la sienne, plutôt que de chercher à nous imposer des personnages un peu improbables. Car soyons honnêtes, ce Paul c'est de toute évidence lui Michel. C'est encore un mystère houellebecqien.