L’entreprise est belle, l’exécution moins


La fameuse littérature, instance terrifiante, qui inclut ou exclut des objets au gré des modes. Ce bureaucrate qui dit non à la bande dessinée et nomme par là la «sous» littérature. Je n’ai pas sondé toutes les subtilités du genre, mais la science-fiction se présente comme singuliere dans l’étendue littéraire. Orwell lui donne ainsi ses lettres de noblesse. Mais pourtant, elle peine encore à se faire une place significative sur la scène des « belles lettres ». Souvent confondue avec la littérature jeunesse, personne ne soupçonnait tout l’attrait féministe qu’elle pouvait cacher. Et puis, hors de tout état de cause, ce qui s’écrit pour la jeunesse peut être très bon. De fait, je jugerais le livre avec la même exigence et l’impartialité qu’un Flaubert, un Maeterlinck ou n’importe quel autre roman. Enfin bref, je considère essentiel cet abrégé historique de l’élitisme littéraire dans lequel subsiste la science-fiction. Car Au clair de la terre est un ouvrage au croisement de l’héritage féministe et salgarien. On y découvre une femme, Florence, dont la naissance est mystérieuse. D’origine céleste ? Fantastique ? L’auteur optera pour divine. Fait se révélant dans une espèce d’« enquête » quelque peu saugrenue.


À l’abord de ce retour sur l’œuvre, on voit se profiler immédiatement un premier défaut : cet abus du deus ex machina. Tout au long du roman, les rebondissements se situent tous dans des éléments nouveaux ; le principe, in fine, est maladroit. Mais cette inabilité narratologique écrit son manifeste dans ce roman, tant les rebondissements sont absurdes qu’ils en deviennent comiques. La mise en exergue de l’exercice de ce principe m’afflige et, au-delà du moi haïssable, fait du mal à l’objet. Le rendu paraît superficiel, nébuleux, le spectre narratif n’inclut pas le lecteur. La structure refuse la logique intelligible. L’arrivée de Fléandre ou la révélation sur la vraie nature de Florence donnent l’impression que les instruments jouent un accord faux.


Passons au vif des choses. L’acmé des lacunes diégétiques s’investit dans l’impossibilité d’établir une tension convenable. C’est probablement terminologiquement sur un palier analogue au point précédent. Tout est soit avorté, soit prématuré. En guise de drame, on nous sort des mots « deep ». Mais il s’agit ici seulement d’un masque qui cache l’insuffisance. Ce n’est pas moins de la faute de l’auteure que du style gauche. Le rythme phrastique est maladroit et décousu. Les phrases se mélangent assez pour me perdre. C’est confus et pourtant vide. La sémiotique formée autour d’un « parce que » ubiquitaire semble nous prendre par la main, ou le cou.


C’est justement dans cette continuité formelle que les dialogues me perdent. Le monde est, à l’abord, présupposé connu. On me parle d’une myriade de personnes que je ne situe même pas. Défaut que je retrouve aussi dans l’œuvre proustienne (nous tairons ceci). Mais de fait, les dialogues ne m’ont ni enthousiasmé ni accroché. Et cela n’a pas aidé quand j’ai compris que tout repose sur ces dialogues, qui s’avéreraient en plus creux, très formels et impersonnels. Si un point m’a intrigué et plu, c’est l’austérité sous-jacente. Implicitement, ce sont des détails qui forment moins une matière qu’un ressentiment. Mais je préfère critiquer ce qui existe plus que ce que je ressens. Normal.


Allez, un dernier vent critique : la problématisation du phénomène et la danse suivant le vent narratif sont très classiques. Ce peu de recherche s’exerce dans L’Élu, L’Orphelin… mais pas seulement, la structure syntaxique s’avère elle aussi, dans ses éclats et ses emphases, très mécanique. L’anaphore, qu’elle soit déictique ou non, pour une obsession ou le faire-valoir d’un désordre, me paraît idiote et maladroite. Ce ramassé de mondanité fait du beau un style bègue.


Bon, finalement, j’ai été certes assez sévère. Je pense qu’il s’agit davantage d’une sincérité. Je n’ai pas relevé l’engagement de l’auteur, qui est pourtant essentiel. L’entreprise est belle, l’exécution moins. Ça parlera à d’autres, je ne pense pas être le public cible. Soit. Peut-être que je le relirai dans 2 ou 3 ans, sur Terre ou là où je serai, et j’arriverai mieux à discerner les qualités littéraires.

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