Critique de Shaynning

Incontournable Album Août 2025

Avec son style graphique vieillot et un peu gothique, dont le strict noir et blanc se teinte quelques rares fois de rouge, offre à la fois une histoire aux airs de conte qu'une histoire de sœurs dont la complicité les a préservées d'un sort funeste.

C'est connu, par ici: Personne ne gagne à commercer avec les gobelins. Ce sont des vendeurs de rêves avec qui les choses se terminent rarement bien. Cela n'empêche pas la jeune Mina se se laisser tenter par les objets scintillantes et les belles promesses de ces vendeurs itinérants, qui se feront un malin plaisir de vous pousser à dépenser rapidement. Cela dit, Millie, la sœur de Mina, ne se laisse pas impressionner. L'amatrice de livres et confortable dans sa vie simple, ne voit pas pourquoi elle leur ferait confiance. Après tout, certains de ceux qui s'y sont aventurer n'en sont jamais revenus. Mais l'envie de Mina est plus forte et elle profite de la nuit pour se rendre au marché ambulant des gobelins. Quand Millie se rend compte que sa sœur s'est enfuie, elle déduit qu'elle s'est rendue au marché des gobelins. Cherchant dans ses livres une façon de sauver sa soeur, elle constate que les gobelins sont rusés, cruels et méchants. Son sauvetage peut mal tourner de bien des façons, mais sa décision est prise: Elle doit sauver Mina.

Je n'ai pas pu m'empêcher de faire un lien avec le livre "Sauver Mina", un roman pour jeunes adultes ( 17-25 ans+) qui traite d'une adolescente afghane de 16 ans s'engageant dans une armée de femmes de culture yézidie pour sauver sa sœur des cruels et fanatiques hommes de Daesh. Curieux comme les deux histoires ont une base similaire, c'est une coïncidence amusante. Deux histoires sur le courage sororal. Car c'est bien de cela dont il est question. On a beaucoup trop d'histoires pour traiter de l'amour conjugal, mais l'amour sororal peut être extraordinairement fort, car c'est un lien bâti depuis la prime enfance et qui s'entretient dans le temps. Il y a pourtant beaucoup moins de ce genre d'histoire d'amour, je trouve. Peut-être parce qu'on associe trop systématiquement le mot "amour au "couple amoureux". Bref.

On sent définitivement la fibre de conte dans ce sombre album, dont le style me rappelle une gravure. Millie porte une cape rouge, on retrouve le "loup" cet antagoniste récurent de l'univers des contes, certains passages rappellent également des lieux de contes, comme la caverne des merveilles du conte d’Aladin par exemple, ou le joueur de flûte de Hamelin avec son instrument ensorcelant. Il y a aussi ce côté tentateur des gobelins qu'on retrouve souvent dans les contes. Enfin, il y a cette leçon finale, cette mise en garde assez typique, qui est au centre du récit.

L'histoire me fait beaucoup penser à la facilité de l'humain d'être impressionnable sur le matériel et la richesse. Mina incarne cette dimension, éblouie par ce qui brille et ce qui est nouveau, tandis que Millie, au contraire, sait que tout ce qui brille n'a pas forcément de valeur, mais accorde une grande importance à la lecture, donc au Savoir. J'ai un peu l'impression de retrouver les sœurs de "Raison et sentiments" de Jane Austen, avec une sœur réaliste et terre-à-terre et une sœur impressionnable et déraisonnable. Et les "gobelins" me font penser à tous ces industries qui sont des "vendeurs de rêves", poussant les gens à consommer rapidement pour éviter qu'ils réfléchissent. " Achetez, achetez, mesdames et messieurs, avant que la lune n'ait quitté les cieux. Faites un choix, le bon, et faites le vite, car la magie opère tout-de-suite!" Je pense que je vais suggérer cette histoire pour parler de consommation avertie, car la dimension de vente à pression, les conditions d'achats cachées et le côté vicieux et séducteur des gobelins ( le marketing trompeur) est présent.

Attention, je divulgâche certains détails à partir d'ici.

Il y a également cette dimension de l'histoire sur la collaboration, car Millie, bien que vigilante dans ce monde de vendeurs mal intentionnés, sa sécurité est compromise à plusieurs reprises. Elle se fait avertir par un loup à quelques reprises, ce qui semble dénoter un loup qui n'est pas un antagoniste, pour une fois. La présence de ce ruban rouge sur sa tête n'est pas anodin, il s'agit de celui que porte Mina. On peut donc déduire que ce loup EST Mina et qu'elle cherche à faire comprendre son état à Millie. Elle finira par comprendre, ne vous en faites pas. Quand les gobelins lui feront savoir qu'elle ne peut pas quitter leur antre "merveilleuse" sans avoir acheter au moins une chose, elle décide de "prendre" ce loup, qui l'a aidée à plusieurs reprises. Millie pleure sa sœur métamorphosée et ce sont ses larmes qui lèveront le sortilège. Les deux sœurs sont bien sur heureuses de se retrouver et Mina réalise sa chance d'avoir quelque chose d'aussi précieux qu'une sœur qui l'aime assez pour venir la chercher dans un lieu périlleux.

J'aime bien que contrairement à de nombreux contes, cette fois aucun besoin d'un prince pour être sauvées, les filles peuvent compter sur leur sororité pour se sortir d'un mauvais pas, et qui plus est, en s'entraidant. Il y a un peu du conte "La belle et la bête", dans sa version classique, où il ne fait point juger les apparences.

L'album se distingue vraiment avec son graphisme très détaillé, travaillé autant en hachures typiques des gravures que le pointillé, avec ses petits points. Ce sera un album pertinent pour travailler l'univers des contes réinventés, mais aussi pour raconter des histoires sinistres à l'occasion d'Halloween.

Pour un lectorat débutant du 1er cycle primaire, 6-7 ans+