Au cœur du troisième Reich est une auto-biographie passionnante écrite entre 1946 et 1969 par Albert Speer, architecte d'Hitler et ministre de l'armement du troisième Reich, au lendemain du procès de Nuremberg. Un procès éminemment célèbre qui fera le choix de laisser la vie à notre auteur considérant que son implication dans les crimes de guerre était mineure ou du moins, insuffisante pour mériter la mort. Condamné à 20 ans de prison, il trouva le moyen de rédiger ses mémoires non pas pour justifier ses actes ou son admiration pour Hitler mais pour expliquer ce que fut son travail mais aussi le fonctionnement de l'appareil d'Etat national-socialiste. L'ouvrage se lit avec une facilité déconcertante en partie causée par l'écriture brillante de l'auteur et par l'immense intérêt que l'on a à découvrir les rouages du parti Nazi jusque dans les moindres détails. Plusieurs choses m'ont marqué dans ce livre.

La première c'est que finalement, le parti Nazi ressemblait étrangement à une assemblée de courtisans autour de leur monarque. Ces derniers entretenaient une fascination et une dévotion sans réserve pour leur "souverain". Quand bien même celui-ci serait mauvais en stratégie militaire, colérique et impulsif, démodé d'un point de vue technique, incapable de conversations rafraîchissantes et originales, dangereux et excessifs. Malgré tout les hommes de son entourage gardaient une foi inébranlable en lui et obéissaient, par là même, à tous ses désirs. Je passe sur les intrigues de cour, les rivalités ou les oppositions farouches entre clans, on sent quand même qu'il y avait vraiment, hors Hitler, deux personnages importants de par leur puissance et de par la peur qu'ils pouvaient inspirer : Goebbels et Himmler. En revanche, Goering apparaît ici comme un personnage très loufoque, diva à ses heures, doté d'une personnalité baroque complètement anachronique et en décalage complet avec les massacres commis sous sa responsabilité.

La seconde chose qui m'a profondément marqué, c'est que sur l'ensemble du livre qui fait bien 850 pages, à aucun moment n'est évoqué les meurtres de masse ou les atrocités commises par les Nazis. On a le sentiment de lire les mémoires d'un architecte-ministre brillant et dévoué à son chef, qui tente du mieux possible de faire son travail à son niveau pour remporter une guerre quelconque. Il y a une ou deux allusions très évasives à des meurtres au cours de la période 1933-1939 mais rien de plus. Le mot "juif" arrive presque à la toute fin lors des chapitres post-Nuremberg où l'auteur tente de justifier son engagement dans la machine totalitaire et prend ses distances avec le génocide. Pour ma part, je pense qu'il est tout à fait plausible et tout à fait acceptable d'imaginer qu'Albert Speer n'est pas personnellement impliqué dans le génocide juif ou tout autre assassinats de masse durant cette longue période recouvrant l'arrivée d'Hitler au pouvoir jusqu'au suicide. En revanche, et là c'est discutable, qu'il affirme qu'il n'était pas au courant des tragédies qui avaient lieu à l'est de l'Europe... Mouais... Pourtant c'est sa ligne de défense à Nuremberg. Au vu de la proximité que Speer entretenait avec certains hauts dignitaires, il me semble bizarre que rien ne lui soit remonté aux oreilles. Ceci dit, on ne peut lui enlever sa bravoure, ni sa présence d'esprit lorsqu'il s'opposa fermement à la politique de la terre brûlée voulue par Hitler pour rayer définitivement de la carte le peuple allemand qui, selon Führer, ne méritait plus de vivre après la défaite... Une véritable tragédie Wagnérienne ! J'ai été très surpris également d'apprendre qu'il avait élaboré une tentative d'assassinat sur la personne d'Hitler. Une sorte de mini opération Walkyrie à deux ou trois personnes. Bien résolu de mener à bien son plan qui consistait à empoisonner le Führer par le conduit d'aération de son bunker, il abandonna finalement l'idée lorsque ce-dernier, méfiant pour ne pas dire paranoïaque, fit surélever la sortie en toiture d'une dizaine de mètres de haut... La faute à "pas-de-chance".

Il est important de noter qu'une part non négligeable de l'ouvrage se concentre sur des données purement techniques et économiques ou sur des considérations purement logistiques. Ces nombreuses pages font bien entendu référence au travail d'Albert Speer pendant ces nombreuses années, pages qui permettent de se rendre compte du sérieux de l'auteur mais aussi de son dévouement mystique à l'autrichien moustachu. Ce ne sont pas les pages les plus intéressantes, cela va sans dire même si les parties sur les projets architecturaux sont plutôt agréables à suivre.

Quoi qu'on en pense, les mémoires d'Albert Speer demeure un formidable document historique lorsque l'on veut comprendre au cœur le fonctionnement du régime Nazi. Il est aussi un témoignage direct de la personnalité du personnage le plus redouté du XXème siècle car Speer fut relativement proche de lui pendant de nombreuses années avant de tomber en semi-disgrâce au cours de la guerre. Je recommande à tous les amateurs d'histoire du XXème siècle et de la Seconde Guerre Mondiale.

silaxe
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le 20 févr. 2023

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