De Levé, j’avais lu Suicide, il y a quelques années. Je n’en ai pas gardé de souvenir bien net. J’y ai retrouvé une allusion, page 90. J’ai trouvé Autoportrait nettement plus marquant. D’une façon générale, j’aime assez bien les textes à contraintes. J’ai assez vite compris celle qui régit ce livre, n’écrire qu’un seul paragraphe en utilisant la première personne du singulier dans chaque phrase. J’écrirai des paragraphes.
J’ai ri à certains passages : « À la radio, j’ai capté une émission où une femme pleine d’esprit racontait des anecdotes désuètes, ce n’est que lorsque l’interviewer a nommé son interlocuteur que j’ai compris qu’il s’agissait de Jean d’Ormesson » (p. 65-66). À beaucoup d’autres, je me suis pris à songer, plus ou moins loin : « Quand j’ai faim, j’ai l’impression d’être maigre » (p. 31). J’ai fini par m’attacher à Édouard Levé mais je le trouve parfois très rive gauche, ou dandy, ou snob, ou de quelque façon que je doive appeler quelqu’un qui écrit « J’aime achever une tâche à l’heure, c’est-à-dire lorsque la grande aiguille de la montre est sur douze » (p. 71). J’ai été surpris de trouver un point d’interrogation dans Autoportrait : « Tout ce que j’écris est vrai, mais qu’importe ? » (p. 82).
Je ne lis pas pour ne plus avoir à lire, alors qu’Édouard Levé écrit : « J’écris peut-être ce livre pour ne plus avoir à parler. » (p. 27-28). J’ai trouvé que par certains aspects, il me ressemblait beaucoup, mais que par d’autres aspects je n’avais rien à voir avec lui. Moi aussi « En me contredisant, j’éprouve deux plaisirs : me trahir, et avoir une nouvelle opinion » (p. 30). Mais je ne trouve pas qu’il pratique la contradiction, plutôt le paradoxe. « Je ne suis spécialiste de rien. J’ai d’autres sujets de conversation que moi-même » (p. 41).
Dans cette critique, je donne peu d’exemples de points communs entre Édouard Levé et moi mais il y en a beaucoup. Je défie n’importe quel lecteur de ne pas trouver dans ces quelque quatre-vingt-dix pages moins de cinquante phrases qui ne puissent pas s’appliquer à lui. J’ai beaucoup aimé le fait que certaines enchaînements constituent de très grands coqs-à-l’âne J’aime moins que d’autres phrases s’enchaînent avec fluidité : « Je m’étonne que mon écriture manuscrite se soit figée à un certain âge, seize ans je crois, et que depuis, elle n’évolue plus. Je me suis inventé une signature à l’âge de treize ans, sans penser que j’aurais la même toute ma vie » (p. 55-56). J’ai adoré quand deux phrases consécutives se répondaient en écho : « Je n’ai pas la nostalgie de mon enfance, de mon adolescence, ni de la suite. J’ai la tentation de faire des listes exhaustives, et je m’arrête en cours » (p. 35).
Je ne pensais pas apprécier un auteur qui écrit : «  En poésie, je n’aime pas le travail sur la langue, j’aime les faits et les idées. » (p. 44). Je pense que tout le monde pourrait dire « Ma mémoire est structurée comme une boule disco » (p. 90) et je me demande ce que vaut la notion de miroir dans tout ça. Je trouve à la fois étrange et vrai d’écrire « Quinze ans est le milieu de ma vie, quelle que soit la date de ma mort » (p. 91).

Alcofribas
8
Écrit par

Créée

le 28 janv. 2019

Critique lue 133 fois

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 133 fois

D'autres avis sur Autoportrait

Autoportrait
Mattchupichu77
7

Ils pèsent leur poids, ces haltères égaux (pas de faute : juste une licence poétique, si si) !

En un peu moins de 100 pages, Edouard Levé arrive parfaitement à nous montrer en quoi son projet est à la fois totalement vain et complètement essentiel, ludique et superficiel, égocentrique et...

le 20 janv. 2016

9 j'aime

Autoportrait
YvesMabon
10

Critique de Autoportrait par Yv Pol

Edouard Levé, né en 1965, le premier jour de l'année et suicidé en 2007, le 15 octobre, est un artiste conceptuel, peintre, photographe et écrivain. Autoportrait est une suite de phrases sans lien...

le 19 janv. 2017

4 j'aime

Autoportrait
Foxart
10

Critique de Autoportrait par Foxart

En cent et quelques pages, le génial Edouard Levé (Cf chronique ultérieure ici) dresse un autoportrait en trop plein (plutôt qu'en creux) tout à fait saisissant. Le livre est fait de courtes phrases...

le 8 août 2014

3 j'aime

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 11 nov. 2021

20 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

20 j'aime