Comme c’est bien souvent le cas lorsqu’on s’attaque à un monument de la littérature, j’ai craint pendant des décennies de me plonger dans la lecture de "Belle du Seigneur" d’Albert Cohen. Devenu un classique incontournable du XXème siècle, couronné du prestigieux prix Grand Roman de l’Académie Française en 1968, "Belle du Seigneur" a de quoi impressionner n’importe quel lecteur, au-delà de ses mille et quelques pages.
La passion adultère d’Ariane et Solal est devenue un mythe dramatique, au même titre que les amours de Roméo et Juliette pour ne citer qu’un de ces couples maudits.
"Belle du Seigneur" est un chef-d’œuvre du point de vue stylistique. L’écriture est réellement sublime, alternant les phases lyriques, très souvent cyniques, et les passages pragmatiques, tout emplis d’ironie.
Personnellement, je n’ai jamais été à l’aise avec la littérature lyrique et encore moins avec la poésie mais Albert Cohen a réussi à m’emporter, malgré des longueurs et atermoiements indéniables.
"Belle du Seigneur" est en réalité une ode poétique à l’amour fusionnel, qu’on appelle plus communément la passion. Au final, beaucoup de pages pour un espace temporel réduit et une galerie de personnages tout aussi réduite. Mais l’émotion est bien là, saisissante, parfois exaspérante comme le sont généralement les envols amoureux pour tous ceux, spectateurs, qui ne sont pas partie prenante du drame.
"Belle du Seigneur" est la chronique fulgurante d’un amour foudroyant : sa genèse, son essor, son apogée, sa guerre d’usure, son déclin, son agonie, son sursaut de survie, son néant. Dans la gangue pratico-pratique d’un quotidien décevant (les personnages d’Adrien, le mari d’Ariane, et de ses parents sont succulents dans leur médiocrité), Albert Cohen a niché un joyau de pureté aux mille feux intenses et dangereux. Le roman est en quelque sort un long poème qui brille, étincelant, au milieu de la fange de la vie ordinaire.
"Belle du Seigneur" est à le fois le roman d’un amour absolu – et donc impossible – et de la judéité. Cette dernière étant inhérente à la personnalité de Solal, épris d’Ariane - elle-même issue d’une rigoriste lignée protestante de stricte observance – son analyse de la vie, de l’amour, du destin et de toute situation est placée sous son influence, à une époque mortellement trouble et dangereuse pour les Juifs.
Tout l’art d’Albert Cohen réside dans la virtuosité avec laquelle il décrit les ressentis, les pensées, les sentiments, les contradictions, les incohérences de ses personnages principaux, amants bénis, amants maudits, êtres aspirant à un idéal supérieur et plombés par la réalité. Deux Nabuchodonosors aux pieds d’argile. Mythiques et mythologiques.