L’univers de la série Bioshock est extrêmement riche, et depuis un an maintenant je n’ai eu cesse de me renseigner sur le sujet, de réfléchir aux différents univers, aux différentes théories philosophiques abordées par Ken Levine et son équipe. Ainsi cet ouvrage me semblait-il une bonne façon de continuer l’analyse de l’œuvre et de découvrir de nouvelles choses. Malheureusement, ce ne fut pas tout à fait ça.

La couverture classe, le petit ruban marque-page intégré et la police d’écriture soignée laissent pourtant de prime abord une belle impression. En gros sur la couverture, couleur or, est inscrit « Préface par Clément Apap, confondateur de Gamekult.com et Senscritique.com ». Eh oui, il s’agit bien du Clément national de SC, celui que tout le monde connait pour peu qu’on ait envoyé un feedback un jour ou lu un article du blog SC. Cette préface, bien mise en avant, sera un peu à l’image du bouquin : décevante et un peu inutile. Clément réalise durant une page une série d’éloges. Pas une courte analyse, rien que des superlatifs. En somme, une critique SC érigée en préface de l’œuvre. Au final, cette préface fait surtout office de « eh regardez, on a une guest star » et n’apporte rien, alors qu’il y avait moyen de faire un truc sympa. Peut-être n’avait-il pas la place pour développer quelque chose. Premier dommage donc, mais à la limite on s’en fout. Le reste est plus inquiétant.

Le livre commence sur une description de l’univers et des évènements des deux premiers Bioshock de façon romancée. C’est une belle entrée en la matière, une jolie réminiscence bienvenue, d’autant que les informations venant des deux jeux, incluant l’Antre de Minerve et les logs audio dispersés dans Rapture, sont intelligemment recoupées. De plus, cette partie passe en revue les différents courants de pensée à Rapture, incluant donc l’objectivisme de Ryan et l’hyper-altruisme de Lamb, de Bioshock 2. Je ne m’étais jamais penché sur le second opus en termes de réflexion, et il m’a suffi de quelques lignes pour que je me rende compte qu’il comporte lui aussi un propos intelligent et bien pensé. En somme, cette première partie constitue un bon préambule et permet de faire remonter Bioshock 2 dans l’estime du joueur, pauvre opus qui fut malmené assez injustement par une communauté assez virulente.

On a ensuite droit à une partie « Annexe – Univers » où sont répertoriées les différentes inspirations du diptyque. On commence très logiquement par l’objectivisme d’Ayn Rand, et c’est alors que le livre marque son premier gros mauvais point : au bout de deux pages assez succinctes mais intéressantes pour le novice, l’auteur conclut subitement : « En définitive, Bioshock attaque donc cette vision objectiviste, car c’est cet « égoïsme de l’intérêt personnel » qui mènera Rapture à sa perte ». Et là non, juste non. Non seulement les paragraphes précédents ne permettent absolument pas d’arriver à cette conclusion, mais c’est en plus faux. Contrairement à ce que beaucoup de sites de JV essayent de faire croire pour se montrer intelligent, cette hypothèse est fausse et a même été démentie par Ken Levine himself. Bioshock ne critique par la vision objectiviste, il va plus loin que ça, exposant simplement les risques à suivre de manière irraisonnée une doctrine se voulant justement raisonnée. A croire que l’auteur a rajouté cette petite conclusion pour faire bien, genre « ah ouais j’avais lu ça sur Gameblog et c’est cool ». Bref, ceci est le premier point qui m’a énervé.

La suite de la section est en revanche bien plus intéressante et bien moins vague, avec notamment des paragraphes très instructifs sur le Biopunk (mouvement qui m’était inconnu) et l’Art Déco (dont je n’avais jamais vraiment cerné les tenants et aboutissements). S’ensuit néanmoins une comparaison avec Jules Vernes qui n’est pas insensée, mais légèrement bancale à mon sens.

Le second choc est rude : à la cinquantième page environ (sur ~200), il est de mémoire écrit « ainsi se termine notre analyse du diptyque ». Whaaaaaaaaaaaaaaaaat ?! Je suis en train de lire un bouquin analytique de la série Bioshock, et l’analyse se termine au quart ? Je me demande si je n’ai pas fait une analyse plus poussée dans ma critique SC écrite sous forme de dialogue, c’est dire… Là, c’est tragique. Heureusement, ce n’est pas tout à fait vrai, mais c’est également loin d’être faux.

Les deux chapitres suivants concernent la création de la série, de sa genèse jusqu’à sa release, ainsi qu’un « décryptage » de cette création. S’il y a beaucoup de passages intéressants, il y a aussi beaucoup de passages type Wikipédia bien trop longs et donc excessivement ennuyeux, notamment au niveau du décryptage : l’auteur nous décrit toute la transition des FPS du PC vers la console, toute l’histoire du jeu, puis du FPS narratif, puis il nous raconte sa vie sur System Shock, puis 5 pages de dissertation sur la durée de vie dans le jeu vidéo, puis la perte de la difficulté dans les jeux vidéo, puis… Ces sujets se devaient d’être abordés je suis d’accord, mais là c’est vraiment du remplissage. Et du remplissage qui vient de Wikipédia ou assimilé, sans nul doute. Aborder rapidement les précédents du FPS narratif, oui. En faire 4 pages de description, comportant très peu d’analyse, non merci. On sent déjà que les auteurs n’ont plus rien à dire, qu’ils comblent. Un des points culminants de ce remplissage forcé concerne les trois pages sur « les prologues marquants dans le JV ». Mais mais… quel est le putain de rapport ?? Dans ces trois pages, deux lignes sur Bioshock, pas plus. C’est d’autant plus dommage que certaines sections sont véritablement intéressantes et bien calibrées, comme par exemple cet aparté sur la propagande où on ne passe que brièvement son histoire en revue pour ensuite s’attarder sur son rapport à Bioshock, soit l’exact inverse des exemples précédents.

S’ensuivent deux parties très courtes et pourtant très intéressantes sur l’héritage du jeu et ses produits dérivés : là il y avait matière à développer, à analyser. Mais non, ce sera une page et demie chacun. Frustrant.

Le chapitre qui vient ensuite est sans doute la pire du livre : Origine et Descendance. Oui, ça peut faire redite avec ce qui a été dit précédemment, et c’est d’ailleurs amusant de voir que certaines citations, certains évènements, sont racontés deux fois dans deux parties différentes sans liant entre les deux, comme s’il s’agissait une nouvelle information à chaque fois. Bref, cette interminable partie s’étend sur l’origine du RPG, de Looking Glass, du jeu narratif (bis), les projets de tous les gens avec qui Levine a bossé, etc. Interminable, Wikipédiesque, sans analyse et au final presque inutile. Plongé dans un état léthargique sans précédent je fus.

Dernier chapitre et pas des moindres : celui sur Bioshock Infinite. Et c’est là le plus gros échec de ce livre : ayant voulu profiter de la sortie de Infinite pour faire des sous, celui-ci décide de sortir en même temps. Alors que ce troisième épisode aurait mérité une analyse poussée à lui tout seul, sans même parler de son incroyable symbiose, de son essentiel rapport au diptyque originel, on devra ici se contenter de… suppositions. Mais avant, un peu de remplissage s’impose ! Alors on va tout nous raconter sur Columbia, ses personnages, ce qu’on sait du développement, etc. Bref, un bon résumé de toutes les infos données à la presse par les développeurs avant la sortie du jeu. Niveau pertinence et objectivité de l’information on a quand même fait mieux. On apprend tout de même un truc intéressant que je ne savais pas, soit le pourquoi du départ d’un des lead artist du jeu. Bref, une fois tout ce blabla passé, et quelques affirmations qui rétrospectivement prêtent à rigoler (« nul doute que Booker devra abattre le Songbird au cours de l’aventure »), on arrive à la meilleure partie, celle des interprétations.

En prélude, l’auteur critique : « attention, chaque séquence, chaque image de Bioshock Infinite finissent par faire l’objet de « suranalyses » de la part des journalistes et autres commentateurs ». Déjà, c’est ce qu’il a fait tout le chapitre durant. Mais ce qu’il fait ensuite est assez énorme, et outre une analyse assez pertinente sur le principe du « narrateur qui ment », on aura surtout le droit à une métaphore filée assez mythique sur le fait que le début du jeu est une naissance (visiblement l’auteur a fait les 3 premières heures de jeu quand même), puis une enfance jusqu’à Elizabeth. Alors je cite : « la jeune femme désirée (voyeurisme), […], puis rejet de Elizabeth par Booker, celui-ci faisant usage d’armes à feu (ustensiles phalliques par excellence) ». Je traduis : Booker montre donc son gros ustensile phallique à Elizabeth (après l’avoir matée comme un porc) qui, choquée, va lui faire la gueule. Ceci m’a valu un fou rire sans précédent et un statut SC. Non là franchement les mecs c’est la cerise sur le wiki, y’a un moment il faut juste savoir s’arrêter. Mais avant de s’arrêter, on fera une petite page sur Super Mario Bros, car c’est cool de terminer sur du Super Mario Bros. Le rapport ? Bein Mario c’est un peu le plombier, en mode le Réparateur de Choum quoi… (Oh god why).

Bref, cet ouvrage est une déception. S’il comportera un intérêt certain pour le novice de l’univers, avec des prémices intéressants concernant par exemple l’objectivisme, il reste vague et trop peu analytique sur les sujets les plus pertinents, les plus en rapport avec l’œuvre, et s’étend sur des sujets moins pertinents durant des pages descriptives laborieuses. Entre deux, on trouvera moult éloges sur la série. Si je suis le premier à la trouver exceptionnelle, j’aurais cru que le but d’un tel ouvrage était de porter un regard critique, interrogateur et analytique dessus plutôt que de la vendre. Vendu 22€, Bioshock : de Rapture à Columbia coûte bien trop cher pour un simple Wiki amélioré, malgré son bel enrobage. Et pour ceux qui cherchent des analyses poussées ou des anecdotes de développement secrètes, vous trouverez mieux et gratuitement… sur Internet.
VGM
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le 30 déc. 2013

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