Cet étrange roman nous promène entre désarroi et envoûtement

Quelque part au sud des Alpes, l’ancienne et peu fréquentée Voie des cols traverse un massif forestier escarpé et mal balisé. Appelée Bois-aux-Renards, cette zone de nature sauvage enserre en ses replis secrets quelques hameaux perdus, depuis longtemps oubliés et abandonnés à la ruine. C’est là, qu’étrangement, vient s’achever ou se perdre la route de voyageurs amenés à la traverser. Ainsi, en 1951, cette famille tuée par la chute accidentelle de sa voiture au fond d’un ravin et dont un corps manque à l’appel, celui d’une fillette prénommée Chloé. Ou, à l’époque de la narration dans les années 80, cette autre enfant, Anna, enfoncée dans cette forêt pour échapper à ses poursuivants, un couple de tueurs en série qu’elle a surpris en pleine action dans leur combi Volkswagen et qui, lancé sur ses talons, y tombe, complètement égaré, sur une communauté coupée du monde, qui se déplace clandestinement de hameau en hameau pour en squatter les restes d’infrastructures, sans jamais s’éloigner d’une vieille tour protégeant sur sa colline un puits de sinistre réputation.


Avant de venir se perdre dans la touffeur vénéneuse de leur huis clos sylvestre, l’on ne peut pas dire que les personnages nagent dans le bonheur. Laissés pour compte par une société de consommation gouvernée par une cupidité qui les dresse les uns contre les autres et les aliène dans l’oubli de leur nature profonde, ils se détruisent ou s’emploient à détruire autrui. Soudainement confrontés à eux-mêmes et aux instincts les plus profonds hérités du fond des âges lorsqu’ils se retrouvent, sans plus leurs repères habituels, dans l’univers primal, peuplé de mythes et de croyances couvrant tout le spectre entre merveilleux et horrifique, d’une forêt inextricable qui n’est peut-être que la projection de leur dédale intérieur, ils s’effondrent ou se révèlent. C’est ainsi que d’un récit rationnel commencé comme un thriller opposant quelques personnages pervertis à leurs victimes choisies parmi les plus fragiles, l’on arrive bientôt à une plongée dans ce qui ressemble à un histoire fantastique, nourrie de « contes, légendes et mythes » comme annoncé par le sous-titre du livre, et qui s’avère en fin de compte une allégorie aux résonances ésotériques, que l’auteur explique inspirées de l’univers du Livre des morts tibétains.


Truffé de références mythologiques et d’un vocabulaire rare, cet étrange roman nous promène avec intelligence entre désarroi et envoûtement, avec le risque que ce soit au final une pointe de lassitude qui l’emporte devant tant d’obscures et longues circonvolutions.


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Cannetille
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le 4 juil. 2023

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