Boussole
6.6
Boussole

livre de Mathias Enard (2015)

J’avoue que quand j’ai appris qu’Enard avait eu le Goncourt, je me suis dis «merde, s'ils se mettent à le donner à de bons livres, où va-t-on ? », très embêté pour lui de cette horrible distinction. Bon, ben en fait, non, tout va bien, Boussole est suffisamment nul pour pouvoir y prétendre finalement. Quoi que… En fait il n’aurait même pas dû l’avoir, car il ne s’agit pas d’un livre lambda vite écrit, vite oublié, mais d’une catastrophe littéraire qui s’étale complaisamment sur 400 pages, et franchement ce n’est pas très gentil d’aller fourrer ça dans les pattes des pauvres moutons dont ça ne sera que l’un des quatre achats en librairie de l’année, sans parler des hordes d’innocents hères qui ont du le recevoir à Noël. Il faudrait s’amuser à compter le différentiel entre les exemplaires achetés (généralement 200 000, voire parfois 400 000) et le nombre de lecteurs qui auront atteint la dernière page. Parce que lire ce brouet si on ne l’a pas choisi relève de la mission impossible.


Je n’ai certainement pas le courage, en sortant de cette épreuve, d’aller vérifier si Zone est aussi bien que dans mon souvenir, mais tel quel, à dix ans d’écart, je ne peux pas croire que le même auteur a écrit l’un et commis l’autre. Abandonnant les innovations stylistiques et le portrait à chaud d’une société au bord du gouffre, Enard fait désormais dans la prose loukoum, sucrée et paresseuse jusqu’à l’écoeurement. Il faut dire que le thème de l’Orient rêvé qui met à mal l’imaginaire occidental est un peu éculé, mais bon, il y avait tout de même de quoi broder quelque chose d’un peu moins convenu que cet étalage hallucinant de références, name dropping incessant de tous les voyageurs, artistes, archéologues, thésards, aventuriers et j’en passe qui ont fait le voyage vers le Levant pour s’y perdre immanquablement. On est au-delà de la pédanterie pénible, en fait on dirait surtout un mauvais digest d’un portail thématique Wikipédia, style inclus. Enard a beau avoir passé quelques années à Damas et à Téhéran, si tout ce qu’il en a ramené est ce catalogue La Redoute, il aurait pu rester à Niort à regarder couler la Sèvre.


Le hic, c’est que pour faire passer cette pilule qu’il doit sentir un peu amère, ne voilà-t-il pas que Mathias Pacha s’est dit qu’en tant que romancier, il se devait d’enrober ses considérations poussiéreuses et répétitives (le soi, l’autre, les mirages du désert, la barbarie des barbares, plus deux larmes pour Alep bombardée) dans un cadre… romanesque. Et là, le train déraille, le pipeline prend feu, et le mouton sus-cité préfère arrêter sa lecture avant la cinquantième page. Parce que se fader des noms inconnus et impossible à retenir, passe encore (suffit de regarder la télé en même temps) mais alors devoir subir les pleurnicheries pénibles d’un professeur quarantenaire autrichien atteint d’une maladie incurable et qui pendant une insomnie se souvient de son amour frustré pour une autre professeur quarantenaire en train de déprimer dans une case à Bornéo, non là sérieux ça va pas être possible. Plus courageux, ou plus lâche, j'ai continué à m'enliser dans ces dunes d'ennui. Tout ça pour me voir confirmer ce que j'avais pressenti depuis le début : 400 pages d’insomnie, en fait c’est une très mauvaise idée narrative, surtout quand le protagoniste (je ne vais pas dire héros, parce qu’il ne lui arrive rien, et qu’il est fade à en vomir) n’arrête pas de dire lui-même qu’il s’ennuie, que tout ce ressassement ne sert à rien, et que de toute façon fuck l’amour, fuck l’orient et fuck la vie.


Bon ben la prochaine fois, tu sais quoi ? une shisha, un lexo, et au lit, gars.

Chaiev
3
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le 20 oct. 2016

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