J’aime bien l’idée de donner des surnoms aux peintres.
Comme j’aime aussi assez bien Bruegel l’Ancien sans très bien connaître sa vie ni sa peinture, je ne donnerai pas d’avis sur le fond du propos de l’ouvrage que les éditions Taschen lui ont consacré dans leur « Petite Collection ». Disons que le contenu m’a l’air fiable, en tout cas dépourvu de ces délires interprétatifs qui sont la scorie de plus d’un livre consacré aux peintres de la Renaissance. (On pourrait presque reprocher aux auteurs l’excès inverse : par moments, leur livre manque cruellement d’enthousiasme.)
L’idée dominante est celle-ci, qui paraît loin d’être absurde : un certain nombre de tableaux de Bruegel l’Ancêtre représenterait allusivement (et critiquerait par la même occasion) l’occupation des Flandres par le pouvoir espagnol ; c’est le sens des deux premiers chapitres, « Une courte existence en des temps périlleux » et « Anvers, une ville en plein essor ».
Sous-titré « Paysans, Fous et Démons », l’ouvrage fournit aussi l’occasion de (re)découvrir à quel point l’œuvre de Bruegel l’Antique est variée : tableaux religieux (« La Sainte Famille dans la neige »), scènes de la vie quotidienne vues par le biais de l’humanisme (« À la découverte du monde »), tératologie (« Les démons sont parmi nous »), panoramas ruraux (« La vie au village ») voire bucoliques (« La nature, espace vital de l’homme ») et paysans (« Paysans et Cie »). Le dernier chapitre pose une question intéressante : « Pieter le Drôle ? »
L’ensemble, qui s’appuie sur des analyses précises – sans être pointilleuses – des tableaux de Bruegel le Vétéran, est plutôt convaincant, y compris lorsque ces dernières donnent lieu à des remarques plus générales : s’« il n’existe pas d’endroit idéal pour le spectateur » (p. 36) des Jeux d’enfants, cela amène à se demander s’il en existe pour d’autres tableaux de Bruegel le Doyen – ou de Bosch l’Étrange, ou de Klimt le Doré, ou de Dalí le Moustachu, etc.
Quant au format de l’ouvrage, comme de celui de la même collection consacré à Bosch, justement, s’il ne pose pas de problème quand il s’agit de reproduire les Deux Singes ou les Mendiants, il ne rend pas toujours justice aux foules des Proverbes flamands, du Combat de Carnaval et Carême, de Margot la Folle ou même du Trébuchet, dans lesquelles Bruegel le Briscard donne libre à son goût du détail.
Évidemment aussi, le style de l’écriture, purement documentaire, ne satisfera pas l’amateur de littérature. Mais au moins l’ouvrage est-il dépourvu de ces phrases bizarres, qu’on croirait traduites par un ordinateur, et qui plombent plus d’un livre d’art. Si bien qu’en définitive ce Bruegel-là est un bon ouvrage d’introduction – pour autant que je puisse en juger.
Il m’a aussi fait remarquer tout ce que l’univers d’un de mes romans préférés, les Saisons de Maurice Pons, emprunte, volontairement ou non, à celui de Bruegel le Barbon – c’est flagrant dans les paysages d’hiver, dans les Mendiants, voire dans Margot la Folle.

Alcofribas
7
Écrit par

Créée

le 22 oct. 2018

Critique lue 125 fois

1 j'aime

2 commentaires

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 125 fois

1
2

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 11 nov. 2021

20 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

20 j'aime