Incontournable Documentaire Octobre 2023


Version courte:


Avec aplomb et avec force de contrastes, madame Ovidie aborde des dimensions du concept amoureux qui restent encore aujourd'hui mal connues. Entre force de désir, le contrat de mariage, l'inégalité sociale entre homme et femmes et la glorification des relations toxiques, qu'est-ce que l'amour au final? S'opposent tour-à-tour l'amour dans sa dimension biochimique, l'amour dans sa construction sociale issue du patriarcat et sa dimension culturelle, notamment dans la fiction et dans les représentations, "Qu'est-ce que l'amour" ne cherche pas tant à chercher son sens déjà admit que celui qu'on a tendance à ne pas connaitre, voir à ignorer. Il y a encore dans le concept amoureux une part qui emprisonne le femmes, précisément parce que l'inégalité des sexes existe toujours, et que ses définitions nombreuses sont loin d'être paritaires. En peu de pages et versant dans plusieurs axes, le présent petit documentaire destinée au lectorat adolescent, jeune adulte et adulte, présente l'amour comme vous pourriez bien l'avoir jamais imaginé, ou mettre en mots un sentiment de malaise croissant chez les divers acteurs sociaux face à cet "Amour" qui ne sert pas toujours le bien-être des gens.


Version exhaustive:


Je savais déjà, connaissant la collection, que ça allait être passionnant à lire, mais celui-ci possède deux causes qui est l'une des miennes depuis un moment déjà: l'instrumentalisation de la romance toxique contre les femmes ( entre autres dimensions) et l'injuste représentation du concept amoureux entre les genres. Il m'a souvent semblé, en littérature jeunesse comme en littérature adulte, dans les films comme dans les livres, que l'amour était traité différemment entre hommes et femmes, tout comme il me semble que le concept amoureux généralement admit avantage les hommes . Chez les hommes/les garçons, l'amour, c'est "secondaire", un bonus ou un des nombreux "Droits" auxquels ils ont accès de par leur genre, et ces messieurs cherchent toujours le top du top: La fille parfaite. La fille spéciale, plus belle, plus sexie, plus habile, plus "un peu de tout". Mais certainement pas une femme ordinaire mal dans sa tête, dont qu'il faudra prendre soin et sauver d'elle même ( ou si rarement). Au contraire, la femme/la fille se retrouvait trop souvent amoureuse du beau salaud, de l'homme qui justifie sa violence et son refus de changer par son passé difficile, beau bad boy ténébreux incompris et inaccessible, que seule une vierge tout pure et douce saura sauver de lui-même, même si elle se désincarne totalement et centre toute sa vie autours de son seul objectif: son couple. Son "amour". Bien sur, ce sont les deux extrêmes, il y a des nuances, mais ce que j'ai hélas comprit très tôt dans ma vie de fille, c'est qu'on allait de toutes les manières possibles, me rappeler que la meilleure chose qui puisse m'arriver est de tomber amoureuse d'un beau gars auquel je me dédirais corps, âme et esprit. La réussite sociale ultime. Dans les pubs, dans les films, à l'école, dans ma famille, dans mes cercles sociaux, dans les livres, dans la culture et même en Histoire. C'est comme ça que j'ai comprit que "Amour" est surtout et avant tout "une construction sociale", bien avant d'être un sentiment paritaire et sincère. Ce qu'il devrait être, selon moi. Ce même "amour" qu'on présente comme "banal", "morne", "beige", donc ennuyeux, peu enviable et globalement "moins estimable", comme si l'amour était aussi un concours social.


Le documentaire présent comporte plusieurs axes, comme une étoile, mais présente le fil conducteur qui déconstruit un gros concept. On a pas assez de mots pour décliner ce concept, je trouve.


Il y a l'amour en tant que "coup de foudre", par exemple, cette décharge physiologique qui rend aveugle, illogique et un peu dépassé par un ensemble de réaction physiques: sommeil perturbé, organes malmenés ( les "papillons"), esprit moins rationnel, bouffées de chaleur, cafouillage langagiers, jugement altéré, maladresse physique, etc. Le bon vieux cliché de l'amoureuse en pâmoison, en somme. C'est purement physique et sert un but: La reproduction. Curieux qu'on nous présente le "coup de foudre" comme le "sentiment amoureux" en lui-même quand on constate que la psyché et l'esprit sont formidablement absents. Mais ça vend, cette idée que l'amour est totalement englobant, qu'il nous rend déraisonnables et complètement centrés sur l'autre, spécialement chez les femmes, en témoigne les innombrables romans et films sentimentaux articulés en ce sens.


A contrario, dans le présent livre , l'autrice évoque un sentiment similaire chez les hommes, mais dans le sens criminel de la chose. "Le crime passionnel" a longtemps servi à justifier, sinon à banaliser la violence vécue par les femmes victimes de meurtre de ce type, en arguant que les hommes "fou d'amour" pouvaient attenter aux jours de l'être aimé par déraison et surplus de passion. Aujourd'hui, comme l'évoque l'autrice, on a changé le terme: "Féminicide". "Tuée pour être une femme". Comment croire que quelque chose comme l'amour peut avoir été associé à ce qui est en réalité une possessivité maladive et un impératif besoin de contrôle, je me le demande encore. Signifier que les hommes se donnent se donne le droit de tuer par "amour" ne révèle au fond que la troublante réalité: Ils s'en sont donné le droit. Un droit de vie et de mort sur un autre être humain. Qui a-t-il d'amoureux là-dedans sinon un terrible égoïsme?


Mais cela m'amène à traiter d'un autre "amour" qui fait le parallèle avec la dernière phrase. Si certains hommes ( et oui, il y a certaines femmes dans ce groupe de meurtriers passionnels, on s'entend là dessus), c'est peut-être aussi parce que nos sociétés encouragent le fait que la femme est "naturellement soumise à l'homme" et qu'elle n'est, au final, qu'une propriété d'un homme. Déjà, dans l'Histoire, les femmes ont longtemps été dans un état civique où "elles ne s’appartenaient pas", pour citer l'autrice. Cet état de fait est relative à plusieurs éléments.

Le premier est la transaction entre hommes, qu'on appelle "mariage", qui fait passer une femme de son père à son époux. Oh, je sais que ça va faire frémir les plus romantiques, mais les faits sont là: bien avant d'être un acte "d'amour", le mariage était une façon de contrôler les femmes, de s'assurer de leur fidélité ( et donc que les enfants soient bien ceux du propriétaire de la femme), de mettre une valeur sur elle ( la dot) et de s'assurer, surtout, qu'elles restent dans leur groupe social. C'était particulièrement vrai dans les groupes nantis, voir "nobles", dans lesquels il fallait que les richesses restent dans la sphère sociale donnée. Bien sur que des gens se sont mariés par affection, mais disons que le mariage servait avant tout un "intérêt". La femme n'ayant aucune valeur autre que de servir son homme, on n'avait donc pas à envisager autant de soins et de travail autours d'elle, comme de lui faire faire des études, d'acquérir des compétences ou encore de se choisir un avenir. Il était tout tracé. Et donc, on en revient au concept amoureux: sa principal fonction était de se remplir d'affection pour son époux et donc, pour sa fonction désignée, celle de l'épouse. Pour lui rappeler ce devenir, il fallait aussi la persuader que c'était là son plus grand accomplissent, alors quoi de mieux que de tout en mettre n’œuvre pour que l'amour soit sa priorité? Des amours, même teintés de violence, qui demande une totalement adb.ngation et une loyauté sans faille, pour que même les pires hommes trouvent des épouses et n'aient surtout pas besoin d'être dignes d'elles. C'étaient à elles de l'être. C'étaient donc sur elle que reposaient "l'amour" et ses nombreux impératifs, comme la beauté, la soumission ou encore la fertilité. Mais là, c'est moi qui extrapole un peu.


Ce qui nous amène au second point: La construction de l'amoureuse elle-même. Il faut bien lui donner un moule à cette amoureuse indéfectible et parfaite. La femme amoureuse est en état de grâce dans ce sentiment qui donne des papillons, qui lui fait voir son grand amour même dans sa soupe, et qui globalement ne pense qu'à Lui. On nous le répète inlassablement, mais être "amoureuse" est la plus belle chose qui puisse arriver à une femme. Pour les hommes, c'est un gros bonus, mais c'est une chose parmi tant d'autres. Mais au fond, ne dit-on pas en réalité que c'est "la passion" qui est recherchée? Ici, nul question de confiance, de complicité, de projets communs ou encore d'intellectualité partagée, non, il s'agit de la forme la plus physique, la plus superficielle, en un sens, car elle implique que les sens, aucunement la raison et encore moins la construction d'une relation. À croire que l'amour nous tombe dessus déjà préfabriqué.

On ajoute souvent à cette recette amoureuse les éléments clé du patriarcats: le statut social. "Il" doit être riche et il doit être reconnu. On en a la preuve flagrante avec ces trillions de navets aux inclinaisons pornographiques qui pullulent le marché de livre féminin en ce moment: Suprêmement beau, déraisonnablement riche, reconnu de se pairs ( Un Boy's Club en l’occurrence) et bien sur, insupportablement détestable. De vrais raclures narcissiques et lâches qui se drapent dans leur rôle de victimes pour mieux violenter celles qui disent aimer. Des modèles extrêmement toxiques, mais qui sont révélateurs du peu de progression que nous avons en matière de construction amoureuse, celui du pourvoyeur qui "gère" sa femme et la comble de sexe à défaut d'avoir tous les vrais ingrédients de la recette amoureuse saine: la confiance, la complicité, le respect, la communication efficace, la tendresse , etc.


Sur la question de l'argent, deux choses: Être celui a les cordons de la bourse est une façon d’exercer le contrôle ET c'est aussi une transaction. Pour les hommes riches, l'amour ça s'achète. Dans les faits, le sentiment amoureux ne s'achète pas, mais pour se faire vivre et pour se faire gâter, il y a des personnes prennent à se vendre. Jouer sur la corde entre "amour" et "achat", il y a beaucoup de réflexion à faire. En jeunesse, La Sélection était le cas le plus évident: Comment peux-t-on parler d'amour quand le prix ultime est une vie de princesse dans le luxe le plus total et le plus ostentatoire?


On "vend" aux femmes cette idée que l'amour est aussi synonyme de jalousie, de souffrances, de violence, de conflits, de soumission et de transaction. Je seconde sur cet axe là aussi. J'ai plusieurs romans en littérature jeunesse pour l’attester. La jalousie en particulier, ingrédient employé comme une "preuve d'amour": S'il est jaloux, c’est qu'il t'aime. FAUX. Être jaloux, c'est un pur égoïsme, une façon de signifier qu'on croit avoir des droits sur l'autre personne et que celle-ci devrait nous revenir. La jalousie est un sentiment qui peut mener au besoin de contrôle et qui ne traduit pas tant un amour qu'un manque d'estime personnel et de confiance envers l'autre autant qu'envers soi-même. Ou alors, qui met en lumière un élément qu'on désire, mais pour lequel on ne veut pas trop se battre, qui devrait juste nous revenir naturellement. Mais quand elle sert en plus le non-conjoint, on peut prendre de dangereuses tangentes de violence...Mais là encore, comme elle est partout, dans tant d’histoires réelles ou fictives, forcément, cette banalisation engendre une acceptation sociale. Même son de cloche pour la violence.


La transaction aussi existe en littérature jeunesse: pensez à ces filles prudes et amatrices de livres qui se "mettent en couple" avec des bad boys pour le statut qu'elles occupent, le mérite qu'elles en retirent ou encore ces "faux couples" ensemble soit pour des raisons sociales ( pour faire croire à la famille qu'ils sont en couples) ou des raisons commodes ( faire enrager l'ex, par exemple). Bien sur, dans ces histoires, ils se découvrent un amour réel, mais au fond, comment est-ce possible que ça arrive avec une base aussi mensongère et puérile? Quand à la violence, je rappelle que de manipuler l'autre est une violence, la psychologique, et qu'on a toute sorte de déclinaisons pour la nommer, comme le détournement cognitif, le mensonge omit ou le chantage émotif. Les Twilight de ce monde sont des exemples très probants, mais encore vendu comme des "romances', alors que ce sont de claires cas de relations toxiques.


L'autrice évoque aussi l'aspect "dramatique" qu'on a souvent associé à l'amour, sa dimension grandiose, dévorante, qui induit même le suicide ou encore des fugues. Cela revient à la construction qu'on s'en est faite. L'amour passionnel, déraisonnable, qui défi toute logique, mais qu'on en a fait des histoires désirables, touchantes, emprunte d'interdit et de fusion entre deux mondes en apparence incompatibles. Ça séduit de voir des mondes opposés se fusionner, mais a-t-on déjà vu ce genre d'histoire perdurer dans le temps? Non, parce que se soldait en drame, le plus souvent. Cette tendance à ne regarder que le court terme nous fait totalement omettre de parler du moyen-long terme. Or, dans la vie, pour la plupart des sociétés, être mariés et monogramme constitue la norme, alors comment expliquer qu'on mette des bases si bancales à des relations censés durer? Comment encenser la passion qui ne dure pas, des contraintes sociales majeures de l'ordre de la mixité des classes sociales, des ethnies ou des groupes religieux qui vont avoir des impacts toute une vie et des tempéraments diamétralement opposés dans un contexte réel qui devrait au contraire miser sur des ressemblances, du temps de construction relationnel et de réelles atomes crochus? Voilà des contradictions soulevés dans le livre et qui appelle à une meilleure réflexion sur la question.


Ne pensons pas que la construction patriarcale de l'amour ne nuit qu'aux femmes, ce serait une dangereuse association à faire. Elle nuit aux hommes, en leur signifiant que leur porte-monnaie, leur statut social et leur beauté ne sont au final que les seuls attributs dont ils devraient être pourvus pour s'acheter une épouse soumise, belle et dévouée. Elle nuit aux hommes de leur faire croire qu'ils ne sont pas tenus d'être amoureux de la même manière et avec le même degré de dévotion que les femmes. Elle nuit aux hommes de leur donner l'illusion qu'ils ont des Droits sur les femmes en matière amoureuse, car au final, ils apprennent que l'amour leur est dû. Et si cet amour n'est pas au rendez-vous, ils se mettent en colère et deviennent violents ou cultive l'autre grande permission du patriarcat: la culture du viol. Rabaisser les femmes à ce qu'elles deviennent à leur yeux: des objets sexuels qu'on peut monnayer ou prendre de force. Les enjeux sont réels et ils sont graves.


Mais tout n'est pas perdu non plus, je seconde l'autrice sur cette question. Toutes les femmes et les hommes n'adhèrent pas aveuglément à la construction amoureuse qu'on nous vend depuis si longtemps. Bien sur, la diversité des relations amoureuses s’étend, merci à ceux et à celles qui militent pour qu'elles soient reconnues. Bien sur, l'amour existe, il y a une différence notable entre elle et son équivalent promut. Un amour sain, où il y a consentement, plaisir mutuel, confiance, respect ( le grand incontournable qui est aussi le moins représenté en littérature sentimentale) , parité, équité, compromis, tendresse, encouragement, soutient, dialogue constructif et surtout, du TEMPS pour les vivre et les élaborer. Ça me fait penser que l'amour "coup-de-foudre", c'est un peu l'équivalent du "coup d'argent": C’est facile, c'est vite-fait, mais crime que ça ne vaut pas le risque encouru!


C'est à travers la jeunesse que les choses peuvent aussi changer, pas seulement les générations adultes. La jeunesse, si elle est inclue dans l'enjeu, si on lui laisse la parole, peut nous suprendre. Son regard est différent, sa réalité est différente. La jeunesse peut se montrer critique. Malheureusement, elle est aussi vulnérable, car inexpérimenté. C'est pourquoi l'aider à développer un esprit critique est si primordial, surtout sur une question aussi importante que les relations interpersonnelles et surtout quand on lui enfonce à coup de films et de romans que l'amour toxique est souhaitable et pas si grave. De plus, ça n'a pas besoin d'être absolument une relation conjugal le centre de notre vie sociale, ce peut être l'amitié, la fraternité ou encore le professionnel. Quand a-ton décidé que les couples étaient les seules entités relationnelles à occuper la pyramide des relations? Quand pourrons nous en faire plutôt un grand cercle de possibilités relationnelles? Surtout, quand nous donnerons nous l'opportunité d'en parler? Entre adultes? Entre jeunes? Entre générations? Et entre genres?


Il n'en tient qu'à nous d'avoir le courage d'en parler pour faire avancer le débat. C'est notre organisation sociale et ultimement notre bonheur, qui en dépendent.


Pour un lectorat adolescent et plus, 12-15 ans +.

Shaynning

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