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Il y a un phénomène étonnant qui me plait beaucoup dans mes lectures, dont je ne saurai pas dire s’il tient d’un hasard qui se répète, d’un choix inconscient, d’un sens anagogique ou peut-être tout simplement d’un peu de tout ça à la fois, mais mes lectures sont liées les unes aux autres. Je vous assure ! Là vous pourriez vous dire « non mais ce type, quand même… » que je ne vous en voudrais pas, mais c’est pourtant vrai. Quand je débute un nouveau roman, plus d’une fois sur deux je découvre dans cette nouvelle lecture un élément qui la rattache à la précédente. Ça n’est en général pas grand chose, un détail de l’histoire que je n’aurais pas pu deviner ou connaître, qui n’a pas été écrit, raconté, révélé. Avec Ce qu’il faut de nuit, le premier roman de Laurent Petitmangin, les choses sont biaisées car il suffit de lire la quatrième de couverture pour penser que d’avoir choisi ce roman parmi tous ceux qui attendent leur tour, après avoir terminé Louis veut partir de David Fortems, n’est pas choix innocent.


On retourne une fois encore dans l’Est, on passe des Ardennes à la Lorraine, et c’est une fois encore une histoire de père isolé et de fils compliqué, de dialogue impossible, de déception et de douleur. Le narrateur bosse comme ouvrier à la SNCF et milite sans grande énergie dans ce qu’il reste de la section locale du Parti Socialiste. Il élève seul ses deux garçons, Fus et Gillou, un peu plus et un peu moins de vingt ans, depuis que leur mère est morte emportée par un cancer. Entre eux, une saine complicité. Avec Fus, le football et la fierté d’avoir son grand en apprentissage. Avec Gillou, le plaisir d’un fils déterminé à réussir ses études et prendre l’ascenseur social, qui s’entend parfaitement bien avec son grand frère.


Une vie tranquille, jusqu’à ce qu’il apprenne que Fus, son aîné, la chair de sa chair, fricote avec des gamins de l’autre bord, ces fachos qu’un temps il aurait aimé rosser avec les copains de la section, ces nazillons d’extrême-droite qui tractent et font les quatre cent coup pour le borgne et sa fille, et leur idéologie nauséabonde. Entre le père et le fils, c’est l’incompréhension, et très vite les mots viennent à manquer. Ils ne se comprennent pas, et ne parviennent plus à se parler, résignés à cohabiter dans la même maison sans jamais chercher à aller plus loin que des échanges factuels nécessaires à l’intendance.


Un drame viendra stopper cet engrenage intenable, et il faudra alors que ce père choisisse : peut-il rejeter son fils parce qu’il a basculé dans l’extrême droite ? Peut-il toujours aimer celui qui a commis l’irréparable ? Comment comprendre, pardonner, se relever ? Un roman sublime, très simple, sans fioritures ni excès, tout en pudeur et en délicatesse, un roman comme on aimerait en lire beaucoup plus souvent, qui interroge avec intelligence et sans jamais juger. Si vous ne l’avez pas encore lu, ne passez pas à côté, c’est une très belle découverte !


Ce qu’il faut de nuit, de Laurent Petitmangin, a paru aux éditions La Manufacture de Livres le 20 août 2020.

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le 13 oct. 2020

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Brice B

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