- Édition lue : publiée en août 2022 aux éditions La Découverte. EAN : 9782348075735. La note inclut la postface de 2022.
Résumé
Pertinent, utile et relativement accessible pour un ouvrage de sociologie.
Détails
Le mouvement des Gilets Jaunes a contribué à créer un intérêt médiatique sur la ruralité et ses difficultés, mais, comme le dit Benoît Coquard, c'est souvent avec une lecture simpliste et surplombante qui prédominait dans les pseudos analyses d'une "France périphérique" fantasmée.
Ainsi, tout l'intérêt du travail sociologique entrepris ici permet, par la méthode immersive utilisée, de se plonger au sein de ces cantons du Grand Est qui ne sont pas comparables à toutes les formes de ruralités, mais peuvent faire écho aux situations de ces "campagnes en déclin", peu attrayantes d'un point de vue touristique, et très affaiblie économiquement par les délocalisations et la fermeture des services publics, tout comme par la baisse drastique des lieux de sociabilité populaire et public (cafés, bars, bals dansants).
Ceux qui restent va donc développer une analyse à partir des interactions à l'échelle microsociologique, dans lesquelles le chercheur est plus ou moins impliqué, mais en gardant toujours à l'esprit la montée en généralité qui décuple la portée des explications en mettant en évidence le rôle des structures sociales dans la fabrique des comportements et des pratiques évoquées.
Benoît Coquard est particulièrement juste dans sa manière de livrer des récits qui n'escamotent pas les défauts inhérents aux groupes sociaux étudiés, comme le racisme et le sexisme, tout en veillant à ne pas être méprisant. Pour ce faire, il montre adroitement qu'il n'y a pas besoin de dissimuler le réel mais simplement de faire le lien avec les structures qui favorisent ces discours. Ou encore en déconstruisant cette vision réductrice du "beauf raciste" en soulignant les incohérences qui peuvent exister entre des prises de paroles assimilables à l'extrême droite et d'autres pensées ou pratiques qui auraient leur place dans un discours de gauche. Chaque chapitre contribue à tisser cette toile complexe et les quelques répétitions sont aussi là pour insister sur ce qui détermine les visions du monde des groupes enquêtés.
La place qu'occupe le chercheur dans ces groupes est assez singulière, et ne va pas sans quelques biais méthodologiques, qui ont dû questionner le lectorat lors de la sortie du livre en 2019, avant qu'une postface n'y soit rajoutée en 2022. En effet, l'ouvrage me parait encore plus complet avec cet ajout tant il permet à l'auteur de revenir sur les biais de son enquête et de faire preuve d'une réflexivité bienvenue sur sa position de "celui qui est parti" faire des études et sur l'écart que cela créé au sein de "groupes de potes", en plus de sa posture de chercheur.
Enfin, si ce livre est sans doute perfectible c'est davantage en raison de la constante possibilité de développer l'analyse sociologique - ce qui revient à dire que tout ouvrage de sociologie peut être critiquable - que par des défauts évidents présents dans l'ouvrage. D'autant que la postface de l'auteur vient amoindrir les quelques critiques qui pourraient survenir à la lecture de l'enquête "de base", bien que son utilité et son approche pertinente en faisait déjà un ouvrage très recommandable.
9.75/10.