Champion
7.7
Champion

livre de Maria Pourchet ()

Le narrateur est un garçon de quinze ans, plus proche cependant d’une Daria que d’un Holden Caulfield. Champion est constitué de six cahiers qu’il a écrits à la demande de Lydia, la psychiatre qui le suit. Il s’agit d’y raconter les événements survenus un an plus tôt qui l’ont mené « au Centre ». Le ton ? Volontiers caustique, Fabien sachant retranscrire sur le papier cet air narquois, voire provocateur, qu’on arbore quelquefois à l’adolescence dans les moments où être sérieux serait un fardeau beaucoup trop lourd : « Vous me dites Fabien, pourquoi avez-vous tant besoin que les adultes vous collent et vous baffent ? Et moi, je me cure le nez, en me disant que votre récital de conneries aura une fin » (p. 73-74 en « Folio »). Quant à Champion, c’est un loup : le seul ami – imaginaire – de Fabien.
De cette écriture goguenarde, un regard naît incontestablement. Phrases courtes, goût de l’ellipse, rythme volontiers haché : il y aurait presque une petite musique – « je ne déclenchais que la terreur et le respect, où que j’aille. / Pareil, je me suis habitué depuis, à ça. J’ai même eu le temps de m’en lasser. Mais début 92, c’était encore l’attrait de la nouveauté, c’était pas désagréable » (p. 114). Remarquons que quiconque se rappelle avoir été un adolescent solitaire retrouve des réflexions qu’il a pu se faire et qui révèlent son désarroi autant qu’elles entendent le masquer.
Évidemment, la profonde incompréhension – présumée ? – entre notre adolescent et les adultes constitue l’un des thèmes de Champion : « Soit Big Moon [le surnom d’un surveillant] est très con d’y croire, soit il est suffisamment bon pour faire semblant d’être con. Comment les autres se repèrent dans ce foutoir ? Moi je ne sais pas, les gens ne sont jamais clairs » (p. 82). Les seuls adultes à trouver grâce aux yeux du narrateur sont sa grand-mère et un genre d’adolescent attardé que j’imagine assez proche d’un Ignatius Reilly : « Amadeus, en plus du reste, c’est ce genre de gars, on peut se foutre de lui tout en continuant à le respecter. Je n’en connais pas trente-six comme ça » (p. 94.)
Et naturellement, le roman se fait initiatique : « Au Centre, voir des types bien dans une situation de manque et sans issue, ça me révoltait encore, je savais pas que c’était ça, la condition humaine. Je connaissais que l’expression » (p. 105). Comme Fabien est intelligent, il en a conscience : « J’ai appris cette année, sur le tas, qu’on pouvait vivre sans mère, sans second degré, sans manger, sans cours, sans Étienne, sans information, sans innocence, sans faute, sans aimer Hélène, sans mémoire, et parfois sans réaction » (p. 228).
Mais d’une part, – et peut-être cette dernière citation en est-elle déjà le signe, – la narration en fait parfois trop, à l’image du passage qui suit : « Vous me dites de ne pas me corriger pour l’instant, vous comptez sur mes lapsus. Comptez pas trop dessus quand même, parce que je me relis, et je vais pas laisser passer des fautes de CE1, juste pour vous mâcher le travail. On a son camp à soi, merde » (p. 94). Si le lapsus (camp à soi / quant-à-soi, si vous n’aviez pas compris…) finalement sans importance de la dernière phrase n’avait pas immédiatement suivi les deux premières, c’eût été réussi ; là, c’est assez pataud, comme si les circonstances de l’écriture des six cahiers prenaient sans cesse le pas sur le récit lui-même.
D’autre part, et c’est probablement lié, une certaine monotonie finit par s’installer. Au lieu d’approfondir certains aspects du récit – les relations avec la psychiatre, les autres personnages… –, la narration se focalise sur un autoportrait qui bientôt tourne en rond, et sur une chute qui n’en sera pas vraiment une.

Alcofribas
6
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le 24 janv. 2020

Critique lue 335 fois

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