Je suis encore tout retourné par la lecture de Chasse royale. Retourné et emporté loin au large. Au point de regarder autour de moi avec incompréhension… pourrai-je vivre encore sans être un peu aussi Bellovèse ?


Jean Philippe Jaworski a définitivement rejoint Holdstock, Sturlussen, Herbert, Homère, Damasio et autres Eco dans le Panthéon tout personnel des mes émotions littéraires longues ; ces émotions qui vous prennent et ne vous relâchent plus, tel le ressac sur un spot de surf. Ces sentiments littéraires en mots d’acier trempé dont seule la patine du temps pourra en altérer le grain – pour le rendre meilleur. Loin du consommable, du lien de temporalité court, de ces artefacts tendus mais sans aucun souffle. J’aimais énormément le Jaworski des Vieux Royaumes -- qui parabole déjà dans les couches stratosphériques de la création imaginaire -- mais il y a un maître qui le surpasse d’au moins deux longueurs : le Jaworski de Rois du monde.


Je vous passe les spoilers et résumés à deux balles… Ce qui m’a marqué ici c’est avant tout le rythme et l’engagement. Le rythme car ces 2 jours et demi d’histoire sont d’une richesse inouïe où se suivent et s’entrecroisent des chasses diverses (Quel titre ! A la simplicité tellement trompeuse en résonance parfaite avec la complexité des ces peuples de la Celtique). Ce rythme a ses cycles propres, visibles et invisibles, qui nous sont rendus accessibles par le regard de Bellovèse dans un récit à la première personne riche, nourrit et vivant. Qui nous sont rendus compréhensibles, dans leurs méandres et leurs spirales de sens, par un temps présent dynamique qui offre un engagement total dans ce monde de la Celtique antique. Et quel engagement !


Car il en faut de l’engagement pour nous faire vivre ainsi une société aux référents résolument différents des nôtres. Pour transcrire la complexité culturelle, les nœuds de tabous, interdits et obligations d’une société ou le rituel, le sacré, le magique ne font qu’un avec le quotidien. Cette vie bouillonnante qui file au grand galop dans nos veines. Et on le goute pleinement le chant salé de ce sang et on s’enivre de son galop fou tout au long du récit. Comme Holdstock que j’ai cité ci-dessus, Jaworski ne tombe jamais ni dans le piège de la violence gratuite ni dans celui l’explication capiteuse ; les personnages agissent en leur âme et conscience en fonction de ce qu’ils sont et de leur choix, souvent cornéliens, face aux impératifs culturels et rituels de leur société. Cette société dans la quelle on se coule petit à petit au fil des pages, sans heurt. Certes, c’est un monde rude, brutal et mortel… mais il est aussi joyeux, complexe et vivant. Sa réalité et ses codes sont autres et nous pouvons les vivre pleinement tout au long de ces pages.


Cet opus est plus enjoué que le premier, il emprunte plus aux grandes épopées d’Irlande et aux légendes de Gaule pour ajouter aux mystères de cette époque (du premier tome) l’élan rageur de la bataille. Il n’en est pas moins complexe que le premier, loin de là ; c’est tout simplement que Bellovèse a grandit en âge et en compréhension et nous en livre le fruit tout en partageant son histoire. Ça sacre et ça magiquotte à tout crin dans ce récit, à hauteur de tête humaine, à coup de salive, de sueur et de sang, d’épées pliées, de lances brisées et de bijoux fracturés. On en vient même à se poser des questions sur leur sens et leur pouvoir réel, à tous ces rituels, au sein de ces sociétés humaines… puis vient la dernière partie du livre qui nous replonge dans le mythologique et nous fait repartir avec une foule de nouvelles questions en tête.


Le récit est grandiose et, même s’il demeure une projection –très bien documentée- d’un auteur de fantasy, je le mets avec cérémonie sur l’étagère des grands ouvrages de mythologie.


Le style et le vocabulaire sont à la hauteur de la folle ambition de l’œuvre et j’ai trouvé la verve de Jaworski encore améliorée; précise, riche, haletante et sans déchet. Sans doute vous faudra-t-il vider le cache, charger dans le système un dictionnaire supplémentaire ou l’autre (le vocabulaire de la chasse...), ajouter un peu de RAM, s’assurer que le CPU en a assez dans le coco pour gérer les afflux de données et d’émotions tout en analysant les niveaux de lecture liés au style sans risque de ralentissement ou de bug. Sans doute aussi, passé quelques dizaines de pages, rajouter de l’espace de stockage en prévision de la suite et d’ouvrages complémentaires sur cette période obscure et pleine de mystères de l’antiquité.


Mais malgré toutes vos précautions, ce récit risque fort bien de vous emmener au loin, en dehors du contrôle, dans le monde du lâcher prise. Merci monsieur Jaworski car, pour nous offrir un tel récit, il en faut du bagou, du travail et de la maitrise.


--écrit à chaud - révision possible après relecture--

Fredk
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le 9 juil. 2015

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