La question raciale aux États-Unis est rarement traitée du point de vue des descendants des migrants asiatiques. Charles Yu nous offre un roman aussi abouti sur le fond que sur la forme pour traiter de ce thème. Avec Chinatown, interieur il nous entraine dans les coulisses des séries américaines. Il questionne avec humour la place des hommes et des femmes d’origines asiatiques à Hollywood et plus largement dans la société américaine.


Willis est un américains d’origine taïwanaise qui tente de percer à Hollywood. C’est un univers où les scénaristes ne raisonnent qu’en affrontement entre noir et blanc. Le Graal pour lui serait d’obtenir un rôle de maitre Kung-fu. Mais avant cela il doit gravir les échelons des rôles. Son modèle c’est son père qui fut le vénérable maitre Sifu et une ex-star de Chinatown. Willis fini par obtenir un rôle de guest-star dans une série policière « Noir et blanc » auprès de la blanche et sexy Green et du noir, et non moins sexy, Turner. Mais comment se faire une place entre eux deux ? Comment arrêter d’être juste « l’asiat’ de service » dans un univers aussi cloisonné ? Le roman mêle tout les genres comme la série policière, le film de kung-fu ou la comédie romantique, pour nous proposer un roman haut en couleur et vraiment atypique.



Vous êtes censés être là, dans un nouveau pays, plein d’opportunités, mais sans savoir comment, vous vous retrouvez piégés dans une version de pacotille de votre ancien pays.



Le texte est écrit à la manière d’un scripte. La typographie comme la mise en page s’adapte à cela et offre une expérience de lecture plutôt inédite. Le récit mélange des scènes de série télé et des scènes réelles. Les limites entre acteurs et personnages sont minces et l’on bascule rapidement de l’un à l’autre. L’intrigue avance aussi durant les scènes de tournage. Charles Yu est scénariste pour Holywood et connait donc bien les clichés qui imprègnent le milieu. Il mêler roman et scripte de manière virtuose et sans jamais perdre le lecteur.


C’est avec beaucoup d’ironie que l’auteur évoque le racisme ordinaire dont Willis fait l’objet. A travers le prisme du cinéma, il montre comment plus largement les asiatiques sont perçus par les américains. Il va plus loin dans son analyse et pointe ceux qui cherchent à rester dans les cases qu’on leur a assigné. Les échanges entre Willis et Turner, le flic noir, sont vraiment intéressants car ils montrent comment leurs identités sont forgées par des années d’histoires et racistes. Green quand a elle représente le stéréotype de la femme blanche. Dans cet univers de carton pâte tout n’est qu’apparence. Chacun doit camper le rôle qui lui est donné sans chercher à être quelqu’un d’autre. Dans Le sympathisant Viet Thanh Nguyen décrit déjà les clichés hollywoodiens concernant les asiatiques et la manière dont le cinéma réécrit l’histoire mais de manière plus acide et virulente. Charles Yu choisi l’humour mais cela ne l’empêche pas d’appuyer également sur les plaies.



Et voilà, le mot : l’Asiat’. Même aujourd’hui que tu es l’incroyable guest-star, et ici dans ton propre quartier. Ce mot te définit, t’aplatit, te piege et t’enferme. Qui tu es. Tout ce que tu es. Ta caractéristique la plus saillante, qui efface toutes les autres, à côté de laquelle les autres n’existent pas. À la fois nécessaire et suffisant pour une définition complète de qui tu es : l’Asiat’.



Au delà de la dénonciation, de la critique sociale, il y a l’intimité des personnages. L’auteur nous parle de Willis, de sa famille et de ses amis avec tendresse. Il nous raconte l’enfance, les premiers pas de chacun dans le cinéma avec une grande minutie et toujours une pointe d’humour. Parfois il opère une parenthèse en nous parle de personnages qui ont eu leurs heures de gloire ou ont tenté une vie hors de leur ghetto. La plume devient alors plus poignante et révèle des souffrances diffuses, des combats souvent perdus d’avance.


Chinatow intérieur est assurément un grand roman, un de ceux qui vous épate et vous transporte à chaque page. Charles Yu est un virtuose sur bien des aspects et je vous recommande vivement ce livre qui ne ressemble à aucun autre.

Anaïs_Alexandre
10

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le 6 sept. 2020

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