C’est avec une certaine surprise que j’ai découvert ce livre signé Raphaël Quenard. J’ai d’abord imaginé une autobiographie (déjà !?) Finalement non, comme indiqué sur la première de couverture, il s’agit bien d’un roman.


Ce roman est écrit à la première personne du singulier, par un personnage qui rappelle énormément Raphaël Quenard tel que nous le connaissons et apprécions depuis les films Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand – 2023) et Yannick (Quentin Dupieux – 2023) : un acteur né, avec un bagout phénoménal, un phrasé très personnel et un goût immodéré pour la provocation et les positions décalées (voir par exemple I love Peru son premier film en tant que coréalisateur, sorti cet été). Bref, on imagine aisément Raphaël Quenard interpréter ce personnage dans une adaptation cinématographique du roman ; il y serait comme un poisson dans l’eau. Il faut donc souligner que le livre, assez court, se lit très bien grâce à un style agréable où l’auteur aligne les bons mots au fil de chapitres de longueurs très raisonnables qui font régulièrement avancer son intrigue.


Oui, mais…


A vrai dire, cette intrigue laisse franchement perplexe. Que l’auteur la commence à Tataouine (Tunisie) pour ensuite nous livrer son histoire sous forme d’un long flashback, pourquoi pas. On sent l’influence du cinéma, ce qui paraît bien naturel. On sent d’ailleurs l’influence des romans et films noirs dont l’auteur doit être friand. Ce qui gêne vraiment, c’est le parcours de son personnage qui passe de suicidaire à tueur en série. Soyons clair, la partie qui met franchement mal à l’aise est précédée d’un avertissement en forme de mise en garde de l’auteur qui précise expressément qu’il est tout sauf un exemple à suivre. Pour ce qui est de l’auteur, il faut comprendre le personnage qui s’exprime au cours du roman. Il n’empêche… J’ai bien repris ce passage pour qu’il n’y ait pas de doute. Il recule au moment de se suicider. Autant dire qu’il n’en a pas le courage, alors qu’il se considère comme sociopathe, autrement dit incapable de s’intégrer à la société.


C’est la suite du raisonnement qui laisse pantois. En effet, il décide de faire payer à la société son incapacité à se supprimer. Et pour se faire, il décide de choisir ses victimes au gré de ses rencontres, en faisant en sorte d’éliminer des individus représentatifs des différentes classes sociales de la société dans laquelle il évolue (la nôtre). Le mot individus correspond bien ici, car s’il les étudie avec un certain soin, pour les choisir et décider de comment il passera à l’action, il n’a aucun état d’âme. Ainsi, peu importe qu’il supprime une mère dont l’enfant se verra cruellement privé. Au passage, il présente l’action de tuer comme une action banale qu’il met en œuvre selon son inspiration. Sans compter qu’une fois pris dans cet engrenage, le personnage perd toute inhibition et enchaine les actions avec un naturel qui fait froid dans le dos. Il s’arrange aussi pour nous faire comprendre que celui qui s’en donne les moyens peut enchainer les meurtres sans se voir inquiété.


D’autre part, on sent poindre la personnalité de Raphaël Quenard dans un certain nombre de passages qui lui permettent avec le bon sens qu’on lui connaît, de dire ce qu’il pense de l’organisation de la société d’aujourd’hui. C’est appréciable, mais ne justifie pas ce personnage qui exécute des individus par dépit, alors qu’il n’a pas eu le courage de se tuer lui-même (j’insiste).


Impressions contradictoires


L’aspect ambigu du roman, c’est qu’il se lit très bien grâce au style fleuri de son auteur (Raphaël Quenard). Et comme déjà signalé, toutes les absurdités de notre société qu’il dénonce de façon certainement un peu simpliste, mais avec beaucoup de bon sens, s’avèrent convaincantes. On arrive donc à la fin avec la bizarre impression d’avoir lu une histoire qu’on a envie de rejeter, tout en se disant que le personnage dont on suit les pensées a raison sur bien des points. D’ailleurs, il insiste plusieurs fois pour souligner que dans la vie, de nombreuses contradictions apparaissent régulièrement. Au bout du compte, Raphaël Quenard retombe sur ses pattes (il faut reconnaître que pour cela, il est très doué) avec un dernier chapitre qui lui permet de faire en sorte que la morale soit sauve. Il en profite même pour justifier son titre.


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