Commenter les récents ouvrages de Bégaudeau sur senscritique va peut-être devenir une sorte d'habitude pour moi. Je l’avais déjà fait pour « Notre Joie ». D’ailleurs, si j’ai laissé ma critique telle quelle, comme marqueur d’une étape, j’ai pas mal cheminé depuis sa publication. Au bout du compte, je dois bien admettre que François m’a éclairé, voire « déconfusionné » sur plusieurs points ; pari réussi, donc !


Alors, qu’en est-il de ce « comment s’occuper lors d’un dimanche d’élection », plus court, très facile et agréable à lire, tombant à pic (c’est-à-dire, quelques semaines avant la présidentielle fatidique). Eh bien, il m’a beaucoup moins ébranlé dans mes convictions, et un peu moins remué par ses propositions : il faut dire, à l’avance, j’étais déjà d’accord avec la majorité de ce que Bégaudeau y développe !


Mais l’auteur n’a de toute manière pas la prétention de révolutionner la réflexion sur l’élection présidentielle. Il présente son essai comme une humble piqûre de rappel. Plutôt que nous livrer un manifeste enflammé contre les votants, il cherche avant tout à décrire factuellement en quoi consiste l’action d’élire (et à fortiori, d’élire aux présidentielles). Et une fois de plus, il s’y prend avec brio ! Voyons plutôt…



Autocritique



Parmi les nombreuses choses que j’ai aimées, il y a celle que Bégaudeau commence son argumentaire en passant au crible ses propres convictions. Il détricote les causes régissant ses propres affects, joue franc-jeu en mettant en lumière les zones grises de sa propre pensée. Aussi, lui qui honnit tant la tiédeur écrit dès les premières pages « j’ai l’abstention molle », puis, presque aussitôt, avouera que s’il est aussi serein avec le fait de ne pas aller voter, c’est aussi parce qu’il sait que plein d’autres iront voter à sa place. Isolément, son acte, ou plutôt, son « non-acte », ne changera vraisemblablement rien au déroulé des présidentielles, et à la politique en général. En effet, si du jour au lendemain, on apprenait un risque de 95% d’abstention, la circonspection serait soudain plus de mise. Et si de notre seul vote pouvait découler l’élection de Poutou, nous envisagerions peut-être les choses autrement. En abordant le problème par-là, l’essayiste désamorce à l'avance tout dogmatisme.


Il est également bon de rappeler qu’un non-votant n’est en rien un allié politique, et qu’inversement, votant et non-votant peuvent tout à fait ne pas s’entendre quant au sort à réserver aux urnes et avancer main dans la main le reste du temps. Enfin, le portrait-type des gaillards boycottant les urnes tout en étant obnubilés par la présidentielle, qu’ils regardent en surplomb, se repaissant de sa médiocrité, jouissant de leur propre supériorité intellectuelle, sans rien chercher à créer, m’a parue très bienvenue. J’y ai retrouvé la dénonciation de la colère auto-complaisante, n’aboutissant nulle part, car déconnectée de joie créatrice.


Mais une fois les limites du non-vote pointées, il fallait bien que Bégaudeau en vienne à la portée politique du vote lui-même. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y va pas de main morte !



Radicalité bégaudienne



Parmi tous les arguments développés, c’est sans doute la perpétuelle et noble volonté de toujours ré-articuler la politique au réel qui m’a le plus séduit. En particulier avec l’exemple des trois voisins et de leur barbecue en campagne. Concrètement, qu’est-ce que la politique selon Bégaudeau ? Se réunir, parler et décider. Qu’est-ce que l’élection présidentielle ? Le temple de l’abstraction. Lors du vote, nous sommes seuls, face à personne d’autre que notre conscience (évidement qu’il est plus facile de glisser un bulletin en faveur de Zemmour quand on est dans l’isoloir que de défendre l’immigration « choisie » face à des contradicteurs) ; nous y sommes réduits au mutisme (au deuxième tour de 2017, un vote en faveur de Macron ne désignait rien d’autre qu’un nom ; était-ce un vote contre la xénophobie de son opposante ? ou un vote en accord avec les mesures néo-libérales de notre ex-banquier ? ce qui est sûr, c’est que le principal intéressé ne s’est pas gêné pour prendre chaque vote en sa faveur comme des votes d’adhésion, et pour cause : muets, il pouvait bien y lire ce qui l’arrangeait !) ; enfin, à partir du moment où l’on a élu, on ne décide plus de rien : l’élu s’occupe de tout.


Élire, c’est donc se dépolitiser, déléguer sa souveraineté. Aussi, il est tout à fait à propos de rappeler que si un bulletin peut, en soit, exprimer chaque désir et son contraire, il est une chose qu'il exprime indéniablement : la légitimation du pouvoir en place. Si l’on vote pour quelqu’un, c’est que, sauf mauvaise foi, on est un minimum d’accord avec le système de vote. A ce titre, il est salutaire de remettre au goût du jour le mandat impératif et de défendre l’idée du tirage au sort. Les règles de l’élection présidentielle ont été fixées par les dominants, ceux-ci n’auraient jamais remis à autrui les clefs permettant leur destitution. En l’état des choses, la démocratie représentative est une illusion, une mascarade, un jeu pipé auquel nous sommes condamnés à perdre.


Parmi d’autres arguments développés, en vrac, j’ai adoré la façon dont Bégaudeau répondait au sempiternel « il faut voter : des gens sont morts pour ça ». Même si c’était si vrai qu'on le dit, le fait que des gens soient morts pour une cause ne justifie en aucun cas cette dernière (et l’auteur de toucher complaisamment, mais éloquemment au point Godwin : des gens sont aussi morts pour le nazisme !). La manière de traiter les fameuses élections de 81 est excellente aussi. Certes, il y eut des avancées sociales sous Mitterand (avant l’inéluctable tournant de la rigueur, tout du moins). Mais celles-ci ne faisaient que ramasser les revendications populaires de mai 68. Et de toute manière, des lois progressistes sont également passées sous des gouvernements officiellement de droite. Le pouvoir en place n’octroie rien gracieusement depuis sa chaire, si l’on veut quelque chose, il faudra aller le chercher.


Pour finir avec un semi-hors-sujet, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre enfin sa brève mais lumineuse critique du RIC de Chouard. Bien sûr, donner aux citoyens l’opportunité de modifier la Constitution est louable, mais c’est un vœu qui restera pieux tant que l’on ne modifie pas également les conditions de vie desdits citoyens. Un routier multipliant les heures de travail pour nourrir sa famille et se consacrant principalement à elle lorsqu'il rentre chez lui peut avoir tous les droits théoriques du monde, il aura peu de temps et d’énergie à consacrer à la politique !


Le seul reproche qui me vient, c'est le peu de distinction que Bégaudeau fait entre abstention et vote blanc, vote nul, ou vote pour un petit candidat ne se présentant même pas pour gagner. Contrairement à l'abstention, qui ne distingue pas l’abstentionniste actif (comme Bégaudeau) de celui qui s'en fiche, ou de celle qui a perdu sa carte électorale, à titre personnel, je trouve que le vote blanc est plus fort : il prouve que l'on s'est déplacé pour exprimer son désaccord avec le choix proposé (mais je sais que cette vision peut être débattue, évidemment !)



Et maintenant ?



Et maintenant, pour les présidentielles imminentes, que faire, comme dirait l'ami Lénine ? Eh bien, c’est une excellente question...


Bien sûr, certains parlent de Mélenchon. Outre les désaccords que j'ai avec son programme, je rejoins Frédéric Lordon (je parle de son analyse : je sais que malgré celle-ci, il a appelé à voter pour Méluche). Jamais il ne sera élu. Et si jamais il est élu, il trahira. Et s'il ne trahit pas, il se fera renverser par les forces du capital. Les jours meilleurs ne viendront pas des urnes.


Et pourtant, en effet, un second tour Méluche/Macron, ce serait peut-être remettre le social au centre. Obtenir un débat portant non pas sur le grand-remplacement, mais plutôt sur la misère sociale. Rien que pour cela, je comprends ceux qui iront se salir les mains le 10 avril.


Mais c'est surtout après, je pense, que tout pourra se jouer. Après, et dans la rue, une fois encore.


En attendant, eh bien, entre mille actions, on peut toujours recommander ce livre. A mon humble échelle, c'est le moins que je puisse faire ! Voici également quelques liens pour divers entretiens de Bégaudeau sur son livre : https://www.youtube.com/watch?v=wDgTVx2ibGY ; https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/francois-begaudeau-comment-s-occuper-un-dimanche-d-election ; https://www.youtube.com/watch?v=iBgxfOFbe6Y. Et pour creuser le sujet du côté de l'écrit, je ne peux que vous recommander « La haine de la démocratie » de Jacques Rancière.


Sur ce, comme il est entendu que la politique réside dans la pluralité, je poursuivrais volontiers mon expérience de lecture dans l’espace commentaire, avec ceux qui ne seront pas d’accord avec moi comme avec les autres !

GilliattleMalin
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le 23 mars 2022

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