Au rayon des joyeusetés en cette merveilleuse année 2020, il peut être intéressant de revenir sur la collapsologie, courant de pensée fondé sur une approche pluridisciplinaire et s'intéressant au potentiel déclin de nos civilisations thermo-industrielles. Le terme provient de l'anglais « collapse », qui signifie « s'effondrer ».
Bien que ce mouvement ait pris un essor considérable dans le courant de la dernière décennie, on observait déjà d'importantes prémices au XXème siècle, notamment suite à la publication en 1972 du Rapport Meadows, intitulé « Les Limites à la croissance ». Cette analyse commandée par le Club de Rome et réalisée par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology mettait clairement l'accent sur les conséquences environnementales de la croissance économique et soulignait à quel point il fallait prendre au sérieux l'hypothèse d'un effondrement dans le courant du siècle à venir compte tenu de la raréfaction de ressources telles que le gaz ou le pétrole tandis que la taille et les besoins énergétiques de la population ne cesseraient de croître. C'est un point que l'économiste et philosophe Kenneth E. Boulding a d'ailleurs souligné via cette célèbre assertion : « Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. ».

C'est notamment sur le Rapport Meadows que s'appuie le mouvement politique décroissant, bien qu’il soit resté à la marge d'une société consumériste alors en pleine expansion. Les œuvres de science-fiction sorties durant cette période ont clairement mis en avant la vision pessimiste d'un monde futur exsangue, à l'instar du film "Soleil Vert" de Richard Fleischer, adapté du roman de Harry Harrison.
Toutefois, depuis les années 2000, avec la hausse des inquiétudes liées autant à l'épuisement des ressources qu'aux nouvelles problématiques posées par le réchauffement climatique, un discours axé sur la « théorie de l'effondrement » a émergé, illustré entre autres par des ouvrages comme "Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie" du chercheur américain Jared Diamond. Ce livre s'intéresse à la chute de plusieurs civilisations passées et met en perspective le sort qu'elles ont connu avec ce qui pourrait potentiellement attendre les sociétés dites développées depuis l'avènement de la mondialisation.

En France, le terme « collapsologie » a avant tout été popularisé par Pablo Servigne, auteur avec Raphaël Stevens du livre "Comment tout peut s'effondrer : petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes", paru en 2015.
Dans le cas présent, le billet publié ici vise moins à revenir dans le détail sur le contenu de l’œuvre qu'à présenter dans les grandes lignes le mouvement collapsologue. Sachez toutefois que l'ouvrage de Servigne et Stevens représente une très bonne porte d'entrée.

Parmi les voix les plus emblématiques des partisans de l'hypothèse de l'effondrement dans l'Hexagone, on peut citer notamment Yves Cochet, ancien ministre de l'Environnement.
Sans se revendiquer ouvertement collapsologues, plusieurs auteurs proposent une analyse relativement similaire, à l'instar de l'astrophysicien Aurélien Barrau, qui met plutôt l'accent sur l'étendue du désastre en ce qui concerne les écosystèmes, ou encore Jean-Marc Jancovici, qui s'intéresse quant à lui aux questions énergétiques et insiste sur l'illusion d'une croissance verte basée exclusivement sur les énergies intermittentes (éolien, solaire).

À l'heure actuelle, bien que les tenants de la thèse de l'effondrement se revendiquent d'une science fondée sur une approche pluridisciplinaire, de l'histoire des civilisations passées à l'étude de l'environnement en passant par l’économie et la géopolitique, tout cela fait encore débat dans la mesure où la collapsologie a essuyé un certain nombre de reproches.
Parmi ces critiques, figurent le fait qu'elle reposerait sur une interprétation erronée des systèmes complexes tels que dépeints par le penseur Edgar Morin ou bien les risques liés à un raisonnement tautologique, soit partir d'une conclusion qu'on chercherait à démontrer (ici l'effondrement), autrement dit tout ce qu'il ne faut pas faire lorsqu'on entend s'inscrire dans une démarche scientifique.

Il serait sans doute plus juste de considérer la collapsologie comme un paradigme fluctuant, avec différentes écoles tant le terme « effondrement » peut être accolé à des réalités contrastées. Ces tendances ont par ailleurs été assorties d'une profonde évolution du mouvement survivaliste, plutôt éloignée du refuge dans un bunker en raison du spectre de la guerre nucléaire ou bien des lubies d'extrême-droite sur les conflits de civilisation.
Qu'on soit ou non partisan de cette approche, les questions qu'elle soulève ne sauraient être réduites à des prédictions de Nostradamus, ni balayées d'un revers de main. L'explosion des besoins énergétiques en raison de la généralisation du « modèle » occidental, la multiplication des échanges mondialisés entre des économies de plus en plus interdépendantes, la raréfaction des ressources et les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique engendrent de lourds défis à relever et rien ne semble augurer à ce stade que nous saurons y faire face. Il n'est pas déraisonnable de supputer une dégradation de la situation à tous les niveaux pour les décennies à venir. La crise actuelle du Covid-19 risque dès lors de n'être qu'un léger avant-goût de ces problèmes.

Wheatley
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le 27 juin 2023

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