Crépuscule
6.5
Crépuscule

livre de Juan Branco (2019)

C'est un ouvrage politique qui, par sa tonalité de pamphlet, est difficilement dissociable de la personnalité de son auteur. Si vous souhaitez lire un livre documenté et ordonné sur les liens entre Macron et l'oligarchie, j'imagine que les livres de Marc Endeweld sont mieux ordonnés (je ne les ai pas lu).
Le livre est découpé en 46 courts chapitres. Le style a quelque chose de fiévreux, et l'on trouve un certain nombre de coquilles et de répétitions. Le texte a été retravaillé et ça se sent. Le sourçage est très inégal : parfois on trouve beaucoup de notes de bas de page, parfois pas du tout alors qu'il y en aurait besoin.


Comme dans certaines copies de mes élèves, l'auteur annonce qu'il va évoquer un sujet, fait monter la mayonnaise, puis le traite sans grand détail, ou de manière allusive, ou se perd dans l'énoncé des faits, ce qui rend le propos foisonnant.


La démonstration se prétend rigoureuse, mais au final, ce que l'on a n'est pas du même niveau qu'une enquête journalistique. Juan Branco a grandi dans ce milieu où sont fabriquées les élites : il évoque l'Ecole alsacienne, au sein du 6e arrondissement, au sein de laquelle il a côtoyé Gabriel Attal. Ce milieu de l'entre-soi, qui lui a valu, après avoir intégré Normale Sup', d'être courtisé par Xavier Niel. Et Branco nous fait part de tous les petits copinages de ces gens, de ce système où les limites entre fonctions publiques, haute finance et direction d'entreprise du Cac 40 semblent s'abolir. Attendez-vous donc à un tombereau de potins rances (ce qui est, je pense, l'effet voulu par Branco). Le problème, c'est que l'ouvrage manque de structure, de progression. On ne va pas vraiment du plus simple vers le plus compliqué, comme le préconise Descartes.


On a tout de même un point de vue impressionniste sur le milieu dans lequel évoluent les oligarques. Un milieu où assister à un concert privé de Will Smith après un grand raout au Ritz a quelque chose de banal. Par contre les piques parfois cruelles de Branco desservent un peu son propos, on sent une forme de délectation qui m'a rappelé des souvenirs de notre dureté feinte de khâgneux (oui j'ai fait Louis Le Grand). L'ensemble n'est pas très pédagogique, certaines private jokes ou allusions risquent de perdre toute personne qui ne passe pas son temps sur twitter ou Mediapart.


Et puis un détail me chiffonne : Branco accuse la presse d'avoir très bien su que Xavier Niel et Macron se voyaient beaucoup, et de l'avoir tû parce que Niel était leur actionnaire. Dans le même temps, il rapporte un déjeuner de 2014 au cours duquel Niel aurait parlé de Macron comme du futur Président de la République, donc avec déjà la volonté de le promouvoir. Dans ce cas, Branco ne tombe-t-il pas lui-même sous le coup du reproche qu'il formule ?


Je viens de lire Crépuscule après Ce pays que tu ne connais pas, de Ruffin. Je pense que le second aura beaucoup plus de chance de toucher le coeur du public que le premier. Branco a de la fougue, mais son style est inégal, avec parfois des licences grammaticales ou lexicales dont on ne sait pas bien si elles sont délibérées, et d'autres fois un vocabulaire très recherché. Il ne sait pas écrire en creux, son style m'évoque une lampe torche qui se balade sur les murs moisis d'une cave, il en a la clarté crue et sans beauté. Et son livre manque de repères chronologiques, est parfois trop allusif pour son propre bien. Quand aux attaques sur Mediapart, il y avait tout de même des cibles bien plus pressantes.


Crépuscule a connu un succès fulgurant, assez étonnant, car c'est un livre qui n'a rien d'impérissable ou de construit. Je ne dirais même pas que le livre capte une époque, car il n'est qu'une représentation, au subjectivisme assumé, de l'oligarchie. Qui y chercherait des échos de la crise des gilets jaunes, de la France du bas, doit se tourner ailleurs.


Mais ce succès fait tout de même plaisir, on ne va pas se mentir.

zardoz6704
6
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le 21 avr. 2019

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zardoz6704

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