Incontournable d'une librairie, Mois d'Avril 2021

"D'or et d'oreillers" présente l'intérêt qu'on prête également à sa sœur "L'étrange malaventure de Mirella", à savoir que c'est une réécriture de conte et pas que d'un. Chassé-croisé entre la Princesse au petit poids et la version de Charles Perrault ( ou celle des frères Grimm, c,est selon) de Cendrilllon, nous retrouvons donc d'un côté des archétypes très connus et de l'autre une réinterprétation très intéressante.

L'histoire commence par une scène, celle d'un mère qui confie une histoire à sa fille. Celle-ci pense naïvement qu'il s'agit de l'un de ces contes de princesses abrutissant qui ont court chez la petite jeunesse, mais la femme la détrompe. Cette histoire se campe dans de plus sombres thématiques et met en lumière des sujets tabous qu'on tente à tout prix de cacher aux "jeunes filles comme il faut". Mme Watkins, donc, a trois jeunes femmes, toutes plus blondes, fragiles et stupides les unes des autres, élevées pour satisfaire les goûts d'hommes riches de la noblesse et cantonnées à une vie aussi oisive qu'hermétique. Dans ce décor se profile pourtant une scandaleuse rumeur: un jeune lord outrancièrement riche veut prendre épouse, mais la nouvelle ne s'arrête pas là. Cet héritier fort casanier a, en effet, la lubie, semble-t-il de faire passer aux potentielles épouses une nuit en son château. Évidemment, le sujet fait scandale: qui courrait le risque que leurs fragiles oies blanches si chastes de perdre leur réputation ou pire, leur vertue! Mais la perceptive de voir l'une de ses filles mariée à ce lord, qui habite en outre un château très luxueux, conduit Mme Watkins a élaborer un plan pour se retrouver "inopinément" aux portes dudit château. Flanquées de leur servante, la jeune Sadima, les femmes Watkins rencontrent le Lord, qui leur explique que la "nuit passée au château" est en réalité un test, une façon de trouver la perle rare parmi les nombreuses personnes possibles. Et comme les trois sœurs acceptent de s'y prêter, voilà que le Lord propose le test également à leur servante. Laquelle y consent, avec sous ses airs ordinaires,d'intéressants talents.

Autant aborder d’emblée ce qui me turlupine dans cette lecture: les stéréotypes. On reste dans un registre convenu avec une sorte de Cendrillon moderne, qui a bien sur des talents particuliers et qui a évidemment une grande beauté. On dirait que c'est encore impossible en jeunesse de sortir autre chose que ce vieux cliché de la belle héroïne persécutée, d'origines modestes qui a pourtant toutes les qualités ( Blablabla), en cela, ça me laisse perplexe. Et même du côté du personnage mâle, on a encore un mystérieux ténébreux un brin loufoque, mais Ô combien séduisant ( et glorieusement richissime en plus!). C'est le genre de conventions toutes droites sorties des romans à l'eau de roses de type Arlequins ( que je déteste prodigieusement vu la bêtise des personnages féminins). Donc, de ce côté là, franchement , on ne sort pas des conventions, même si Sadima porte un pantalon, sait chasser ( Bonjour la revisite de Katniss Everdeen) et bien sur, a des dons. C'est un élément que j'aimerais voir ENFIN bouger dans les réécritures de conte: de nouveaux archétypes, de réels changements dans les personnages, pas juste quelques "trucs cool" qu'on ajoute histoire de moderniser légèrement les héros.

Ensuite, et là je lui concède volontiers, le roman fait fort avec son récit. Côté péripéties et scénario, c'est envoutant, frissonnant et très sensuel. Cette dernière qualité est assez rare en jeunesse, mais rien n'est plus délicieux que les non-dits portés par de jolies phrases. Et niveau jolies phrases, Vesco sait faire! Tournures élégantes, jeux de mots, figures de styles, on a aussi des palindromes ( des mots qui se lisent dans les deux sens et constituent une forme d'anagramme) et des rimes pour les sorts. On sent le plaisir de l'autrice à jouer avec les mots et en cela, c'est un régal. Les amateurs de belles plumes devrait aimer, ne serait-ce que pour cet aspect.

Il y a aussi de nombreux clin d’œil, justement à l'univers des contes ( Peau d'âne, Cendrillon, le petit chaperon rouge, etc) et quelques fois à des œuvres jeunesse plus récentes, par exemple "Narnia". L'histoire n'est pas non plus sans rappeler le mythe oriental de Turandot, cette princesse mongole de légende qui contraignit ses indésirés prétendants au mariage à trois énigmes pour gagner sa mains, tout comme le Lord Handerson ( Clin d’œil à Andersen, célèbre auteur de contes) fit passer trois épreuves pour trouver son épouse.

Il y a aussi un ton moqueur que j'ai bien aimé et qui concernait toute la bêtise entourant les Nobles femmes. Tenues dans une ignorance crasse de leur propre sexualité comme de toutes forme de tout savoir intellectuel, elles sont dépeintes comme de jolis vases fragiles, désespérément souffreteuses, blanches et condamnées à la servitude patriarcale du mariage de cette époque et dont la seule valeur réellement importante est leur réputation ( à comprendre, leur virginité). Toute l'ironie entourant les contrats de mariage et le fait qu'on juge un homme d'abord à son argent, bien plus qu'à ses qualités ou son physique, a de quoi faire sourciller. Et pourtant, historiquement, on en voit la réalité. Jane Austen était justement de ses autrices qui ont eu plaisir à dénoncer toute la culture de bienséance hypocrite des aristocrates, bourgeois et nobliaux de son époque et la façon dont les femmes elle-même contribuaient à leur propre asservissement. La façon de Vesco de traiter le sujet m'y a fait penser.

Sinon, ce roman est une sorte de mélange entre magie et romance, cultivant le mystère de son lieu principal avec finesse, même si, malheureusement pour moi, le "mystère" du château était déjà-lu. Reste que malgré des héros convenus, certains thèmes sont assez nouveaux en jeunesse, telle que la masturbation féminine , dont le mot n'est jamais nommé, le plaisir sexuel lié aux sens et aux fantasmes Je trouve rafraichissant ce personnage masculin qui a assez de jugeote pour concevoir qu'une épouse , ce n'est pas juste de prendre la plus belle et la plus ingénue du lot! Il m'a plu pour son approche davantage "cartésienne" que romantique de la chose, plus logique. Pour lui, trouver l'âme sœur ne relevait pas de ce fantasme de conte systématiquement lié au hasard le plus complet, mais sur une recherche méthodique, où apprendre à se connaitre, avoir des choses en commun et développer des affinités prévalent sur le simple physique ou la classe sociale. Même l'aspect "corporel" est inclut, en ce sens où apprendre à connaitre le corps de l'autre est aussi une façon d'apprendre à se connaitre. Bravo, monsieur le Lord, enfin quelqu'un de censé! Oui, bon, en même temps, on apprend plus loin qu'il a un plan derrière la tête, mais son approche reste excellente ( quoique révoltante pour l'époque).

En somme, une belle œuvre qui mérite de l'attention, mais qui aurait gagné à bousculer davantage de conventions sur ses personnages.

Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans+.

Shaynning

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