Daisy Miller
7.2
Daisy Miller

livre de Henry James (1878)

J'adore Henry James. Après avoir lu un de ses romans, je me suis immédiatement précipité sur d'autres de cet auteur dont j'avais entendu parler à un cours de philosophie. Toutefois, je ne me suis pas jeté sur les bouquins achetés afin de les finir en un temps record. Henry James, j'aime beaucoup son écriture, mais il a tendance à placer beaucoup de descriptions, et afin de mieux savourer ses histoires, je préfère les espacer.


Je fus surpris en découvrant que mon bouquin contenait en fait trois histoires : "Daisy Miller", "Un épisode international" et "Quatre rencontres". Comme les deux autres nouvelles ont leur propre fiche, j'en ferai la critique à chacune et ne me contenterai ici que de noter et juger "Daisy Miller" (puisqu'il semblerait que cette histoire ait été vendue sans être forcément liée à d'autres nouvelles).


J'aime beaucoup le récit. dans le premier chapitre, Henry va juste installer la rencontre : il ne se passe pas grand chose, on ne mesure pas encore le monde qui sépare les deux protagonistes. C'est simple, pas spécialement envoûtant. C'est au deuxième chapitre que l'histoire démarre réellement, que les enjeux se tissent, que les personnages se font remarquer par leur caractérisation. Et c'est finement fait. Les personnages parlent constamment, s'affrontent, rien n'est simple. Le point intelligent, c'est de suivre Winterbourne car il est le mieux placé pour faire se rendre compte des différences sociales sans être ni le bourreau (créateur de conflits) ni la victime (où l'on pencherait du côté du misérabilisme étant donné qu'il est impossible de résoudre un tel conflit de soi-même). Winterbourne est intéressant parce que son objectif est de séduire la belle Daisy : les obstacles sont les préjugés sociaux, à la fois ceux des autres et les siens. C'est là qu'est le véritable obstacle. Et le talent de Henry c'est de réussir à nous faire croire que le héros peut les vaincre, qu'il n'a qu'à juste cesser de juger celle qu'il convoite et de filer le parfait amour.


Le talent de Henry James, c'est aussi de réussir à nous faire comprendre les deux partis. Au fond, Winterboourne a un peu raison de s'emporter, car on ne peut pas dire que le comportement de Daisy soit très respectueux, même au-delà des conventions sociales. Mais en même temps, Daisy n'est pas qu'une enveloppe vide et du peu qu'elle s'exprime, et surtout par l'analyse divine du narrateur, on comprend qu'elle n'agit pas méchamment. Peut-être est-ce bien dû à une mauvaise éducation, mais elle semble comprendre que son comportement puisse ne pas plaire, elle en semble bien consciente. Sans pour autant agir de la sorte avec la volonté de blesser, juste avec celle d'être libre de ses choix.


Durant ma lecture, j'ai eu une double envie : celle que le héros ouvre les yeux, qu'il cesse de s'apitoyer et qu'il se décide à la conquérir de manière officielle plutôt que d'agir selon le quand dira-t-on ; et celle que la belle calme ses ardeurs, qu'elle fasse l'effort de ne pas en faire purement à sa tête. Car elle a aussi son sale petit caractère, autant que Winterbourne. Et j'en retiens un sacré problème de communication, qui est là un thème toujours d'actualité. Moi-même je sens bien que lorsqu'il y a dispute dans mon couple, c'est par problème de communication. Quand je repense, par exemple, à une amie qui m'était chère et avec qui je ne parle plus, je me rends bien compte que c'est aussi dû à un problème de communication. La communication est importe pour lier les gens, mais elle est tellement ardue à maîtriser qu'elle agit en tant que parasiteur.


Je ne sais pas non plus si le roman est tant une ode au féminisme qu'une ode à la liberté. Certes, le personnage féminin cherche à s'émanciper, s'affiche avec des hommes, n'a pas peur d'être une flirteuse... mais apparemment, elle n'est pas la seule comme ça. Ce qui la caractérise, à mon sens, c'est la manière dont elle fait fi des conventions, et cela n'a aucun rapport avec le sexe (même si l'on nous rappelle régulièrement que ce qu'elle fait serait moins choquant si elle était un homme... il n'empêche que l'italien se comporte un peu comme elle, ignorant certaines conventions du pays, de son pays en plus, et n'est pas beaucoup mieux considéré).


Contrairement aux deux autres romans que j'ai pu lire de l'auteur (en même temps je me fie à des -déjà - vieux souvenirs), j'ai trouvé les constructions de phrase assez simple, épurée alors qu'il me semblait qu'elles étaient souvent longues (sans pour autant être déplaisantes). L'histoire se lit donc agréablement, avec un juste équilibre entre le descriptif et l'avancée narrative. Les personnages sont assez bien décrits, autant que les décors. J'ai beaucoup apprécié les interventions mêmes de l'auteur, qui n'hésite pas, de par son point de vue omniscient à ajouter quelques détails directement à l'attention du lecteur (il crée une sorte de complicité avec lui face à ce spectacle très théâtral).


Il ne se passe pas grand chose de tout le livre. Quatre chapitre, peut-être 6 ellipses, donc 6 scènes. Et pourtant Henry parvient à tout raconter. Les ellipses arrivent au bon moment, Henry ne prend la peine de nous expliquer ce qu'il se passe entre les scènes, il choisit de ne se focaliser que sur cette histoire d'amour. Comme si le reste n'avait pas d'importance. C'est ce qui permet au livre de se tenir malgré le petit nombre de pages. Henry propose tout de même de petits récits annexes, digressifs, qui permettent de rythmer l'histoire, de faire souffler le spectateur, mais sans jamais perdre de vue le fil narratif principal. Quant à a fin, elle est très brutale, mais pour ma part, tout a été raconté. On ressent bien le malaise que provoque cette relation, et cette manière de finir est certainement la meilleure, car elle confronte, d'une manière radicale, le personnage principal à sa propre bêtise. Les quelques lignes supplémentaires font un peu froids dans le dos, parce que Henry James rappelle que tout cela n'est finalement qu'une petite romance, un fait insignifiant par rapport à la marche du monde. Mais ce qui est sûr, c'est que cette petite halte en Suisse puis en Italie n'a été que trop plaisante.


Bref, "Daisy Miller" est un court roman un peu pessimiste de par son sujet, mais assurément divertissant de par la manière dont l'auteur joue avec ses enjeux, ses conflits.

Fatpooper
8
Écrit par

Créée

le 8 avr. 2016

Critique lue 353 fois

3 j'aime

Fatpooper

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