"La règle qui veut qu'entre deux hommes qui se rencontrent il faille toujours choisir d'être celui qui attaque ; et sans doute, à cette heure et en ces lieux, faudrait-il s'approcher de tout homme ou animal sur lequel le regard s'est posé, le frapper et lui dire : je ne sais pas s'il était dans votre intention de me frapper moi-même, pour une raison insensée et mystérieuse que vous n'auriez pas cru nécessaire de me faire connaître, mais, quoi qu'il en soit, j'ai préféré le faire le premier, et ma raison, si elle est insensée, n'est du moins pas secrète : c'est qu'il flottait, de par ma présence et par la vôtre et par la conjonction accidentelle de nos regards, la possibilité que vous me frappiez le premier, et j'ai préféré être la tuile qui tombe plutôt que le crâne, la clôture électrique plutôt que le museau de la vache."

Comment expliquer ce qui se passe Dans la solitude des champs de coton ?

Dialogue entre un dealer et un client, de longues tirades pour aller où ? Nulle part, un client qui va d'un point de lumière à un autre mais le dealer placé sur sa trajectoire... Ou la trajectoire qui s'est légèrement courbée à la vue du dealer ?
Un contact du regard, et peut-être que dans ce nulle part, dans ce moment hors du temps, c'est une seconde de pensée qui se développe sur des pages.
Polysémie et richesse d'une pièce qui ne ressemble presque plus à du théâtre, plus d'acte, de scène, plus de didascalie, un simple dialogue. Et pourtant, héritage théâtral évident, un match de boxe qui se joue avec les mots, des phrases aux contournements infinis : ce qui ressemblerait à un Marivaudage moderne, je suppose. L'écriture de Koltès, alors, se fait remarquer dans le contraste évident qui nait de comparaisons improbables, de vocable parfois vulgaire, portés par des constructions syntaxiques complexes : impossible de savoir vraiment où l'on est.
Deux hommes que l'on ne voit que trop bien se tourner autour comme deux loups, l'un prêt à sauter sur l'autre. L'autre prêt à sauter sur l'un. Jeux de désirs illicites et d'offres illégales d'objets non nommés mais d'autant plus désirables. Jeux de oui et de non. "Je sais dire non et j'aime dire non, je suis capable de vous éblouir de mes non, de vous faire découvrir toutes les façons qu'il y a de dire non, qui commencent par toutes les façons qu'il y a de dire oui.". Jeux de domination, l'un puis l'autre, et finalement, quelle arme ?
clairemouais
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Bouquins 2014

Créée

le 1 déc. 2013

Modifiée

le 2 avr. 2014

Critique lue 897 fois

21 j'aime

clairemouais

Écrit par

Critique lue 897 fois

21

D'autres avis sur Dans la solitude des champs de coton

Dans la solitude des champs de coton
Sivoj
10

Envoûtant

Cette pièce – ou plutôt cette nouvelle, car elle a été adaptée au théâtre mais avait été écrite comme un exercice tout ce qu'il y a de plus littéraire – est une sorte dialogue entre un dealer et un...

le 24 févr. 2017

4 j'aime

Dans la solitude des champs de coton
Ashen
9

Répulsion magnétique.

Deux hommes – à caractéristiques variables selon la mise en scène –, un dealer de de désir et un client de désir, la nuit, au milieu d'un champ. Un dialogue qui se construit en monologues. Des...

le 26 avr. 2012

3 j'aime

Du même critique

Whiplash
clairemouais
5

Itinéraire d'un connard égocentrique

Avec son nez empaté, ses paupières tombantes et ses balafres, la gueule d'Andrew est plus proche de celle de Rocky que de celle d'un batteur. "Batteur", le mot correspond tout de même parfaitement :...

le 30 déc. 2014

126 j'aime

38

Rushmore
clairemouais
10

Bonjour, je suis Wes Anderson, et mon second film est déjà un chef d'oeuvre.

Hum. Je n'ai jamais critiqué un film de Wes Anderson, sûrement par peur de ne pas réussir à exprimer au mieux mon admiration. Wes Anderson, c'est un peu le type qui a les clefs de l'esthétique...

le 1 déc. 2011

96 j'aime

20

Mulan
clairemouais
8

Un après-midi Nutella-Grenadine-Mulan.

Le cocktail parfait pour un voyage dans votre plus tendre enfance, 84 minutes pendant lesquelles j'ai eu 8 ans, de nouveau. Voilà, je vois qu'un de mes éclaireurs ajoute Mulan à une liste, et me...

le 12 août 2011

63 j'aime

17