Le caca, c'est une affaire qui nous concerne tous. C'est même une des « affaires » qui nous préoccupe le plus et le plus tôt depuis notre arrivée dans ce monde de merde. Coupés de la matrice confortable qui nous nourrissait sans effort de notre part, nous avons dû apprendre non sans joie à contrôler notre succion – puis notre mastication –, notre ingurgitation, notre digestion... et donc notre défécation. Le stade anal étant alors un moment important de la vie relationnelle entre l'enfant et ses parents, c'est tout logiquement que nombre de jeux et de livres pour enfants tentent d'éduquer, d'informer, d'amuser autour de la question du popo.

Parmi ces ouvrages, en voici un particulièrement remarquable. À noter, d'emblée, le titre subtile qui évite la question de la nomination de « la chose » en suggérant le mot « caca » disparu derrière le verbe « faire », procédé habituel dans le langage réservé aux enfants (ou aux personnes ayant un balai dans le cul – ce qui empêche naturellement de parler des choses qui y entrent et qui en sortent), ce qui en dit long décidément sur l'importance de la défécation à cet âge, le verbe « faire » étant associé directement à cette action, comme si c'était la seule possible alors...

L'histoire de ce livre, écrit par des allemands (décidément spécialistes ès scatologie), est toute simple : un matin si tranquille (et serein), une taupe, encore en pleine céphalo-rectomie (mais c'est un état assez permanent chez cet animal), au moment de sortir de son trou pour prendre l'air, se prend donc une bonne grosse mouscaille sur la tronche, sans avoir le temps de savoir d'où (et surtout de qui) elle venait. Commence alors une enquête digne de l'inspecteur Colon-Beau, qui amènera la taupe à demander à toutes sortes d'animaux forts sympathiques s'ils sont responsables ou non de l'infamie.

La qualité principale de cet ouvrage vient de la qualité encyclopédique du dessin, qui dresse une galerie de crottes, de bouses, et autres fèces parfaitement reproduits, et toujours raccord avec l'animal en question. L'enfant qui aura lu ce livre, s'il se trouve un jour perdu et abandonné dans une campagne profonde, pourra ainsi parfaitement suivre à la trace son futur dîner en repérant ses déjections spécifiques.
Rarement des merdes auront été aussi mignonnes.

Là où les choses se gâtent, c'est dans la fin de l'album. La taupe, bien informée par ces enculés de mouches, apprend que c'est le chien qui lui a chié sur la caboche. Habituons les enfants le plus tôt possible à un monde de délation !
Elle s'en va donc d'un pas décidé se venger de ce malpropre (qui a en plus le mauvais goût de s'appeler Jean-Henry... et pourquoi pas John-David pendant qu'on y est ?), en déféquant à son tour sur la tête de l'arroseur originel. Une bonne vieille loi du Talion, voilà une justice expéditive et sommaire (basée, faut-il le rappeler, sur le simple témoignage d'auto-proclamés experts) à la portée de tous !

Mais ce que nous apprend cette vengeance ridicule, au-delà de son inutilité, c'est surtout que, justement, la loi du Talion est une parodie de justice. « Œil pour œil, dent pour dent », nous dit la Bible, reprise par Charles Bronson et tous les adeptes d'une justice supposée égalitaire car basée sur une équivalence. Sauf que rien n'égale jamais vraiment rien dans un monde basé sur des inégalités. Si vous foutez une tarte à Arnold Schwarzenegger, celle qu'il vous renverra en échange sera incommensurable. « Œil pour cil, Dentition complète pour dent de lait ».

La taupe du livre est donc aussi stupide que le petit malin qui se croit marginal de la société parce qu'il vole ses jeans Diesel à Gap, alors même que ce vol n'est qu'une minuscule cacahuète pour la société comparée aux tonnes de bouse qu'elle lui aura lâché sur la tête, voire pire, fait ingérer...
La taupe a donc perdu son potlatch, elle a perdu la face après que celle-ci fut couverte de merde. Mais son rendu était probablement tout ce qu'elle pouvait offrir et, après tout, une petite crotte peut parfois faire déborder la fosse septique...

Mais la toute fin de l'histoire, quant à elle, est bien pire : « pour vivre heureux, vivons cachés, terrés au fond de chez nous, planqués des dangers du monde extérieur, à l'abri de toute mauvaise surprise... ». Une morale de retraité paranoïaque, sociopathe acariâtre, voilà qui devrait préparer définitivement les morveux à notre beau "monde de merde".
youli
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les livres qui se lisent aux toilettes

Créée

le 4 févr. 2012

Critique lue 1.5K fois

5 j'aime

2 commentaires

youli

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

5
2

D'autres avis sur De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête

Du même critique

Dragon Ball
youli
10

Petit Son Goku deviendra grand

Si Dragon Ball fut une œuvre phare de mon enfance, au même titre que Les Aventures de Tintin par exemple, c'est avant tout parce que : - c'est bourré d'humour, et que c'est important l'humour pour...

le 17 mai 2022

73 j'aime

17

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
youli
10

Critique de Eternal Sunshine of the Spotless Mind par youli

Le film le plus juste et le plus beau qu'il m'ait été donné de voir sur l'amour, offrant à Jim Carrey et Kate Winslet deux de leurs plus beaux rôles. Jim Carrey notamment, étonnamment sobre, limite...

le 24 avr. 2011

57 j'aime

17

Le Miroir
youli
5

Miroir, mon beau miroir, dis-moi donc... quelque chose. Mais parle, te dis-je !

Comme toujours avec Tarkovski, on a droit à des plans beaux comme des tableaux de maître, à des phrases poético-ésotériques, à beaucoup de tension... et d'incompréhension. En fait, tous ces éléments...

le 28 nov. 2012

53 j'aime

3