Ce très beau titre vient des Mythologies de Roland Barthes, nous apprend Hervé Le Tellier dans sa préface, à propos de Jules Verne et L’île mystérieuse : « l’homme-enfant réinvente le monde, l’emplit, l’enclot, s’y enferme, et couronne cet effort encyclopédique par la posture bourgeoise de l’appropriation : pantoufles, pipe et coin du feu pendant que dehors la tempête, c’est-à-dire l’infini, fait rage inutilement » (p. 80 de l’édition Points de 1970). Car Dehors, la tempête est un livre sur la lecture, et les lectures, de Clémentine Mélois, qui en bonne oulipienne n’a que faire des convenances et s’en invente à foison. Il est donc question de Perec, Ponge et Queneau, mais surtout de Simenon, Jules Verne et Le Seigneur des Anneaux ; car pour l’autrice (après Barthes donc), la lecture renvoie à l’enfance, et à un concours de poésie de Gallimard Jeunesse remporté grâce auquel elle reçoit des cartons de livres :

Je me demande s’il est possible de nommer avec certitude l’événement décisif, le moment charnière qui fait que rien ne sera plus pareil (enfant, ma mère avait peur de « recevoir l’appel » comme Jeanne d’Arc ou sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Il paraît que cela vous tombe dessus sans prévenir). Peut-on vraiment savoir quand le train de sa vie a emprunté cet aiguillage-ci plutôt qu’un autre ? (…) Il me semble pourtant que je serai toujours cette petite fille en pyjama violet assise par terre au milieu des livres. (p. 143, édition Points – il y a d’ailleurs un certain panache à raconter cela dans un livre de Grasset)

Le pas-du-tout-oulipien Michel Crépu ne disait pas autre chose dans Ce vice encore impuni : la lecture renvoie à l’enfance, ou au moins à ce sentiment d’entièreté, de plénitude, d’abri et de repli face aux querelles du monde. Et Clémentine Mélois pratique la lecture avec le sens de la fantaisie (on n’ose pas écrire « poésie », mot qu’elle trouve à raison galvaudé) qu’on lui connaît : lisant Simenon, elle s’interroge sur les « sandwiches » jamais décrits que Maigret mange, et son taux d’alcool après tout ce qu’il boit en une journée de travail. Il est difficile, et sûrement pas souhaitable de « résumer » ou « raconter » ce livre. Je finirais donc en disant qu’il y a un très beau chapitre sur Moby Dick de Melville et la littérature de la mer, et un autre sur sa bibliothèque, la sienne, à elle, mais pas que. Alors on remet une buche dans l’âtre, on réajuste son plaid, et on repart à l’aventure comme, et avec Clémentine Mélois.

Cela me chiffonne toujours un peu, avec les livres, qu’on en vienne tout de suite aux grands mots. L’Amour des livres, la Haine des livres, la Fureur de lire… Ma foi, quand je pense aux livres, je ne vois pas un bûcher, je vois un jeune garçon assis au fond du jardin, un livre sur les genoux. Il est là, il n’est pas là ; on l’appelle, c’est la famille, l’oncle qui vient d’arriver, la tante qui va s’en aller : « Viens dire au revoir ! » ; « Viens dire bonjour ! » Y aller ou pas ? Le livre ou la famille ? Les mots ou la tribu ? Le choix du vice (impuni) ou bien celui de la vertu (récompensée) ? (Michel Crépu, Ce vice encore impuni, Arléa, p. 47)
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le 22 sept. 2025

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Antoine Grivel

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