Fable à six pattes et à sang froid

Depuis l'adaptation en série du problème à trois corps, Liu Cixin était resté dans un coin de ma tête... Alors plutôt que de reprendre ça série phare, j'ai voulu attaquer par un autre oeuvre pour m'en faire une idée plus vaste de son univers.

Je crois que je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec Des dinosaures et des fourmis. J’étais attiré par ce titre aussi étrange que poétique, cette promesse absurde d’un récit mêlant grandes bêtes éteintes et petites créatures organisées. Et surtout, l’idée d’une civilisation alternative qui naîtrait de leur alliance. Sur le papier, ça aurait pu être un coup de bluff ou une énième dystopie hasardeuse, mais ce n’est pas ça. Le roman a quelque chose de beaucoup plus malin, presque modeste dans sa manière d’aborder le sujet. C’est peut-être ce qui le rend à la fois original… et frustrant.

Il y a dans ce livre une vraie intelligence conceptuelle. Le postulat est fou, oui, mais il est tenu. Cette civilisation utopique, née d’une improbable collaboration entre les dinosaures restés en vie et une race de fourmis conscientes, devient rapidement un miroir de nos propres choix de société. On y parle de pouvoir, de guerre, de gestion des ressources, et tout ça avec une logique de conte philosophique. Une fable moderne, presque à la manière d’un Italo Calvino ou d’un Voltaire sous LSD, mais traitée avec beaucoup plus de douceur.

L’humour est là, discret mais efficace, et le ton reste fluide, toujours lisible, presque joueur par moments.

Mais voilà... plus j’avançais, plus je me rendais compte que ce roman ne tiendrait pas longtemps. En effet, il s’essouffle un peu trop vite. Non pas parce que l’idée s’effondre, elle tient la route et j'avoue avoir dévoré le livre très rapidement, mais parce que le format ne permet pas d’en explorer toute la richesse. En refermant le livre, j’ai eu cette sensation d’un potentiel sous-exploité.

Certains choix narratifs accentuent encore ce sentiment. L’auteur privilégie l’idée à la narration, l’intention à l’émotion. Résultat ? Les personnages sont peu marquants, le récit avance vite, trop vite, et parfois on a presque l’impression de lire une conférence déguisée en roman. Ça reste bien écrit, vraiment, mais j’ai senti une volonté un peu trop appuyée de faire passer un message, quitte à sacrifier la dimension romanesque. Ce n’est pas forcément un défaut si on s’attend à lire une fable à thèse, mais ça limite l’attachement.

Puis il y a cette question du style. J’avais lu ailleurs que certains trouvaient l’écriture en décalage avec d'autres œuvres de l’auteur, trop simple, presque jeunesse. Je comprends la remarque, même si elle ne m’a pas dérangé outre mesure. Au contraire, j’ai plutôt apprécié la limpidité du texte, le fait qu’il ne se perde pas dans les métaphores ou les détours, qu’il aille droit au but. Ça rend le propos plus percutant… mais aussi plus éphémère.

Au final, ce qui m'a le plus dérangé, c'est l'implémentation des dialogues... Oui c'est étrange comme remarque, mais la fluidité de l'évolution de ces deux espèces codépendance m'avait tellement séduit, que l'arrivé timide de dialogues enfantins qui deviennent de plus en plus fréquents on comme étant un cheveu dans la soupe qui a rendu ma lecture beaucoup moins fluide!

Mais l'expérience en valait quand même franchement le détour. Parce que malgré ses limites, j’ai été pris par cette proposition décalée et presque naïve dans ce qu’elle raconte du monde et de nos choix. C’est imparfait, trop court, un peu bancal, mais ça ose quelque chose. Rien que pour ça, ça mérite le détour. Pas sûr que ça reste longtemps en mémoire, mais pendant quelques heures, j’ai eu envie de croire à ce monde de dinosaures pacifistes et de fourmis stratèges.

Mettre en scène une évolution d'espèces avec autant d'intelligence, à petite et grande échelle, physique et politique m'a semblé très inspirantes et ça a l'effet d'un vent d'air frais pour moi!