Version lue : Sortie en mai 2024 aux Éditions du Seuil - EAN : 9782021518948
Résumé
Une enquête sociologique très pertinente, malgré de petits défauts marginaux.
Détails
L'intérêt porté à l'électorat d'extrême droite n'est pas nouveau mais le travail de Félicien Faury donne à voir des réalités particulièrement intéressantes, plus ou moins propres à son terrain d'enquête. La grande pertinence de celle-ci réside avant tout dans cette manière d'appréhender les déterminants du vote comme un tout et de ne pas escamoter le racisme derrière des considérations socio-économiques, ou inversement, de ne pas voir le racisme comme un comportement naturalisé de personnes stupides.
En prenant au sérieux ces enquêté·e·s, le chercheur évite les écueils inhérents au mépris et l'infantilisation. Mieux, il considère ces paroles et fait le lien entre ces vécus individuels et les dynamiques inhérentes aux structures sociales. L'intérêt pour certains passages dépendra nécessairement du niveau d'information dont on dispose au moment de la lecture. Et s'il est vrai que quelques analyses paraissent assez évidentes, d'autres font des liens tout à fait éclairants entre différents échelles d'analyse (individuelle, groupe social, structures sociétales). Et quand bien même certaines thèses peuvent parfois paraitres déjà lues, elles sont souvent solidifiées pour aller au-delà du propos éditorial ou journalistique, en s'appuyant sur l'enquête effectuée, et sur une bibliographie riche dont les références s'intègrent bien au texte. Texte d'ailleurs assez lisible pour un ouvrage de sociologie du vote, et qui permet de bien comprendre les différentes explications du chercheur tout en ayant la possibilité d'approfondir certaines parts si besoin, en se plongeant dans les références fournies tout au long du livre (C. Guillaumin, P. Bourdieu, S. Hall, etc).
Dans l'ensemble, le livre est d'ailleurs très bien structuré et l'exposé souvent passionnant, bien que l'on puisse reprocher un petit manque au niveau de l'analyse des déterminants du vote d'extrême droite chez la classe bourgeoise. Les dynamiques de racialisation étant plutôt étudiées sous l'angle d'une peur du déclassement social et économique, faisant pencher le travail vers cette frange "au seuil" du groupe dominant et privilégié, dont le racisme est intimement lié à la compétition pour différentes ressources (logement, aides sociales, écoles, etc.). Mais cette focale ne permet pas de bien comprendre les déterminants du vote chez les électeurs plus riches. Peut être car ceux-ci ne sont pas suffisament représentatifs de l'électorat RN ?
Une autre critique peut être faite concernant le peu d'attention portée aux sociabilités professionnelles dans cette enquête, quand bien même on aurait pu faire l'hypothèse - ou affirmer la thèse - d'une faible politisation dans ces espaces et de la dégradation de celle-ci "au travail", en lien avec les politiques néolibérales et à la mise à mal du syndicalisme. Je trouve également regrettable que Félicien Faury, qui a sans aucun doute lu Bourdieu et sa critique des sondages, les mobilisent aussi souvent dans son ouvrage, sans même prendre quelques précautions avant de les citer.
Cela étant, ces quelques défauts n'enlèvent pas l'excellente contribution scientifique qu'est ce livre, et l'intérêt qu'il recèle dans une période politique qui voit l'extrême droite progresser et l' analyse sur son électorat se perdre dans de minables calculs politiciens souvent méprisants et sociologiquement infondés.
8.25/10