Panaït Istrati, écrivain roumain d'expression française, à publié une série de romans intitulée "Récits d'Adrien Zograffi", dont "Domnitza de Snagov" est la conclusion. Ces livres sont assez compliqués à se procurer, car pas réédités depuis les années 80, mais je suis parvenu à mettre la main sur une édition originale (dont les livrets de pages ont fâcheusement tendance à se désolidariser les uns des autres). "Domnitza de Snagov" raconte ainsi les aventures de bandits rebelles (appelés "haidouks") réunis sous l'autorité de Floarea Codrilor, veuve d'un ancien chef haidouks ayant pris sa relève, qui vont œuvrer pour la réunification de la Moldavie et de la Valachie, première étape de la naissance de la Roumanie moderne. L'œuvre nous plonge dans ces territoires vallonnés du fin fond de l'Europe en plein XIXe siècle, période d'éveil national et de lutte contre les dominations étrangères.


Ce livre s'est révélé être un excellent compagnon pendant mon voyage en Moldavie. Je reste admiratif devant la manière dont Istrati manie le français, sa langue d'adoption et d'expression. À travers son récit, il est parvient à conférer une dimension héroïque et quasi mythologique au soulèvement des peuples roumains et moldaves (moldaves et Valaches à cette époque) contre les oppresseurs ottomans et russes, célébrant l'union de facto de ces deux principautés après la double élection d'Alexandru Cuza en 1859.


Si le style d'Istrati a un peu vieilli, le fond de son œuvre est empreint d'une forme d'universalité. En choisissant une femme comme personnage clé agissant dans les coulisses de l'histoire, il témoigne d'une vision résolument moderne et libérale. Tout ce livre (et je suppose le reste de cette série) célèbre la révolte contre l'oppression et promeut un patriotisme éclairé. À travers la bouche de ses protagonistes, il défend la liberté de conscience, l'émancipation des esclaves tziganes ou encore la sécularisation, tout en jetant l'opprobre sur les popes tartuffes et les boyards avides de pouvoir.


Il n'échappera pas au lecteur attentif que les personnages sont un peu trop idéalisés, manquant de ces contradictions qui leur donneraient un peu plus de profondeur. Mais peut-on vraiment blâmer un ouvrage publié en 1935 de faire preuve d'humanisme et d'idéalisme à une époque où l'Europe s'enfonçait dans la tourmente des totalitarismes ? On se laisse ainsi facilement séduire par les aventures de cette femme guerrière et diplomate, entourée de ses compagnons haïdouks au grand cœur, par ces intrigues de palais et ces combats impitoyables qui ont forgé une nation.


"Domnitza de Snagov" nous offre finalement un voyage romanesque dans l'histoire tumultueuse aux confins des Balkans, alliant le souffle épique à une sensibilité progressiste qui continue de résonner avec nos préoccupations contemporaines.

ZachJones
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le 15 mai 2025

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Zachary Jones

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