On ne s’attaque pas à ce genre de livre sans une certaine appréhension. C’est étonnant d’avoir attendu aussi longtemps pour commencer un des romans fondateurs du genre, aux côtés de Frankenstein et Docteur Jekyll and Mister Hyde. J’avais adoré Frankenstein, un peu moins Jekyll. L’appréhension est double : est-ce que le roman sera à la hauteur de sa réputation ? Et est-ce que ma lecture peut encore apporter quelque chose à un texte aussi disséqué depuis sa parution ?
Le roman épistolaire, construit à partir de lettres et de journaux, nous plonge dans une ambiance feutrée, presque intime. Même si cette forme donne l’illusion d’un récit fragmenté, il n’y a en réalité aucun trou : tout est dit, tout est suivi, parfois trop. Le journal aurait pu laisser des zones d’ombre entre deux dates, mais ici, la narration reste linéaire et exhaustive.
La critique sociale est bien là. Stoker parle de sexualité refoulée, de xénophobie, de la peur de la science à une époque de progrès rapide, où l’on oublie les superstitions qui pourtant ne viennent pas de nulle part. Pour Stoker, il est essentiel de lier science et tradition. Il évoque aussi la femme qui prend la parole et s’émancipe doucement, et la mort comme transformation. Le vampire devient le miroir des angoisses victoriennes.
Malgré tout, le roman reste accessible comme simple récit d’aventure horrifique. L’intrigue prend son temps, mais il fallait bien poser les bases du mythe : ses faiblesses, ses règles, ses métamorphoses.
Côté personnages, c’est paradoxal. Les hommes se ressemblent tous, des gentilshommes victoriens pleins de bonnes intentions. Seuls Van Helsing, figure de l’homme moderne qui fusionne savoir ancien et science, et le fou influencé par Dracula, sortent du lot. Ce sont les plus intéressants. Les personnages féminins, eux, ont une place plus réduite et souvent rétrograde, même si Mina tente de s’en affranchir.
Alors, lire Dracula aujourd’hui, est-ce encore pertinent ? Oui, si l’on veut comprendre l’origine du mythe, les peurs de la société victorienne, et le style littéraire de l’époque. Le texte est propre, pas daté, mais le rythme est lent. Une lecture dense, parfois laborieuse, mais riche en symboles. J’en ressors avec une impression mitigée mais curieuse. Ce n’est pas aussi marquant que Frankenstein, mais c’est plus complexe que Jekyll. Une bonne lecture.