Dracula
7.7
Dracula

livre de Bram Stoker (1897)

Un ballon de baudruche de vanité littéraire qui se dégonfle bien vite

L'intrigue ,c'est comme la culture, moins y en a plus on l'étale.
Je ne pouvais qu'être enthousiasmé à l'idée d'enfin lire l'origine du mythe moderne du vampire, omniprésent à notre époque au cinéma et dans la littérature.
Un de mes films favoris: le sublime et incroyable "Bal des vampires" qui n'a pas pris une ride s'en était visiblement inspiré et nous y reviendrons plus tard.
De plus, j'apprends peu avant de l'entamer que le génial Oscar Wilde en faisait l'éloge : autant dire que les augures semblaient plus que favorables.


Eh bien arrivé au terme de ce petit pavé de 500 pages je suis non seulement déçu mais consterné devant ce navet colossal. Oscar, je me demande encore ce que tu as pu trouvé à tant de fadeur...


Pourtant, tout avait bien commencé avec ces cent premières pages dans lesquelles on suit le notaire Jonhatan Harker dans son voyage d'affaire à travers l'Allemagne jusqu'en Transylvanie ou il est en proie à des expériences de plus en plus inquiétantes et ou il fait la connaissance du fameux comte de Dracula.
On est alors face à du gothique de qualité: efficace quoique parfois un peu facile. Les descriptions de la nature sauvage des Carpathes nous immergent de belle façon dans le contexte.
Cependant, le personnage du comte sera vite délaissé et manquera jusqu'au bout d'un certain relief qu'on était en droit d'attendre; il est relégué à l'arrière plan tandis qu'on aura droit à partir de ce moment à tous les états d'âme de la "gentry" (haute société ) de Londres.


Un des gros défauts de l'auteur est son incapacité à laisser s'exprimer ses personnages de façon naturelle et personnelle. On sent presque toujours sa voix et sa pensée derrière , ce qui va entraîner une distanciation vis à vis de l'histoire.
Un exemple parmi tant d'autres mais particulièrement frappant et un des passages les plus ridicules:
la femme du notaire parti en Transylvanie s'investit beaucoup à l'effort de groupe ( ils ont été rejoints par un docteur hollandais et d'autres gentlemen dont un directeur d'asile d'aliénés ) pour comprendre les évènements afin de réagir au mieux, Stoker en faisant d'ailleurs des éloges dithyrambiques très lourds et puis subitement, les hommes prennent la décision de l'écarter définitivement car cela pourrait ruiner son esprit et sa santé irrémédiablement. Elle doit donc regagner sa chambre comme une enfant punie ! On a ensuite droit à un monologue intérieur de chaque personnage qui se félicitent à tour de rôle qu'il en soit ainsi...
D'un manque de naturel pathétique.
La grosse main pataude de l'auteur se remarque désagréablement tout le long du roman et les fils qu'il agite sont aussi fins qu'un pachyderme.
Dire que sa mère était une féministe ...,cela expliquerait les éloges à rallonge qu'il se sent forcé d'écrire à chaque fois qu'un des personnages féminins se distingue tout en précisant bien qu'elle est formidable car elle a un cerveau d'homme.
En fait, toute cette préparation, cet amadouage lui permet le développement d'un féminisme de façade dont il se sert pour endormir les lecteurs et mieux remettre les fragiles créatures à leur place par la suite.
Veuillez me pardonner pour cette digression quelque peu psychologique mais elle me semblait tout à fait intéressante et importante pour mieux comprendre l'oeuvre.
En tout les cas, l'on peut encore une fois observer le mâle qui ne peut s'empêcher de considérer la femme autrement que comme une mineure éternelle même lorsqu'il semble lui reconnaître les plus grandes qualités ( phénomène comparable en cela au complexe de supériorité des occidentaux envers les autres races qui leur fait adopter ce paternalisme sois disant bienveillant. )


Ce roman fait s'affronter fantastique et modernité, entre archaisme supersitieux et science éclairée, le tout entretenu par une vision gothique empreinte d'un christianisme protecteur.
En cela, le texte est bien de son temps, il évoque ce monde encore ancien qui se heurte à la modernité conquérante au carrefour du 20ème siècle (le livre est paru en 1897 ) et qui vient le hanter une dernière fois des profondeurs d'une sombre région montagneuses peuplée d'êtres démoniaques. Ce n'est pas un hasard si c'est au personnage affable et résolument positif du professeur Van Helsing qu'il est tenu en fin de compte de mener le saint combat contre cette résurgence de temps amenés à être résolus.
Sans aucun doute inspiré par le "Frankenstein" de Mary Shelley que je n'ai pas lu mais dont j'ai parcouru plusieurs critiques sur le site , on a affaire à des similitudes : dans les deux cas, c'est comme si l'auteur présentait sa création (Frankenstein et Dracula ) tel un démiurge satisfait de son travail et imbu de vanité. Cette mégalomanie d'écrivain s'observe dans la place démesurée que prend le professeur qui en décrivant le monstre finit par l'éclipser.
Cela cadre avec la mentalité de l'auteur telle qu'elle se dégage du texte, attiré par la respectabilité sociale, le sérieux scientifique et cela explique aussi la structure du roman, découpé en gazettes de journaux, extraits de journaux personnels et télégrammes, afin de donner un aspect crédible artificiel aux faits relatés. Il ne voulait probablement pas être pris pour un "vulgaire" écrivain d'histoires fantasques et c'est dommage car avec plus de spontanéité et d'humilité, il aurait peut-être pu rendre le tout plus digeste et haletant.
C'est le créateur qui veut dominer sa création...


Plus le livre avance, plus j'ai remarqué des grossièretés de style, absentes au début et qui achèvent de saboter l'expérience. Finalement, on sent l'auteur davantage préoccupé par la religion et l'idéal moral de sa haute société( à laquelle il semblait très attaché quand on voit la perfection morale qu'il veut donner à ses personnages ) que par le sujet pourtant fascinant des vampires.
Il s'est clairement servie sans scrupules de la dose d'exotisme dont il avait besoin en nous appâtant avec une Transylvanie mystérieuse et décrite comme appartenant au monde ottoman pour mieux nous servir ses personnages ultra caricaturaux, lesquels ne peuvent pas passer 10 pages sans pleurer tous ensemble et se faire des serments solennels à n'en plus finir.
Le tout paraît parfois si enflé ( d'ou l'image du ballon de baudruche ) que ca en devient grotesque.
L'auteur use sans vergogne d'une quantité hallucinante de points d'exclamation afin d'insuffler un peu d'intensité à son intrigue qui en manque cruellement.
Je comprends mieux pourquoi Polanski a cru bon d'adopter ce ton burlesque dans son adaptation cinématographique très remaniée( "le bal des vampires" ), il a du subir ce grotesque involontaire comme moi et s'est dit dans un éclair d 'inspiration: " -mais pourquoi pas s'en servir pour faire des séquences vraiment amusantes et pour mieux faire ressortir l'inquiétant du contexte ? " Et il a accouché d'un chef d'oeuvre; bon j'espère qu'à ce stade ci ,j'aurai su vous convaincre de votre intérêt à regarder ce film qui saura apaiser en vous la soif déçue du suc vampirique dont vous êtes à la recherche, c'est clair comme de l'eau de roche.


If faut reconnaître à Bram Stoker sa bonne idée de départ en termes narratifs et de potentialité d'évocations et d'intrigue , d'un voyage dans une terre inquiétante, d'un vampire aristocratique, rusé et cultivé.


Alors que reste t-il me direz vous, de la légende ? Eh bien , cette image archétypale profondément enfouie dans l'inconscient collectif par des artistes mieux inspirés que son instigateur.
Dracula fait partie de ces cas ou le phénomène dépasse l'oeuvre pour entrer dans une catégorie triée sur le volet rejoignant alors la substantifique moelle dormant dans le potentiel créateur de l'homme que des artistes iront sucer en dignes vampires.

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le 31 mars 2022

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