Ecce Homo
7.7
Ecce Homo

livre de Friedrich Nietzsche (1888)

Tout tragédien le sait bien : avant le dénouement, il faut un dernier rebondissement, une ultime tension à la fois évidente et insupportable. Dans la pièce très Sturm und Drang de Friedrich, ce moment-là s'appelle Ecce Homo. Saluons au passage l'artiste qui se permet un titre pareil, grinçant et glaçant pied de nez du plus grand contempteur du christianisme : Dionysos face au crucifié, mieux : Dionysos crucifié.
Car Ecce Homo est une absurdité voulue et assumée, Nietzsche qui met sa perruque poudrée pour jouer à "si on se disait tout", façon jiji-rousseau sur le retour. Soyons niais, soyons mégalo, bas les masques ? Oui et Non, comme toujours mêlés. En fait ultime déguisement pour celui qui a tout épuisé, qui est tout épuisé. Un adieu fier et altier qui prend les apparences d'un "coucou me voilà".


Bien évidemment, une lecture purement philosophique (mais l'expression est nulle et non avenue chez Nietzsche) peut redonner au texte sa dimension herméneutique : Nietzsche y revient sur l'ensemble de sa vie intellectuelle, de ses pensées, de ses combats. Mais comme disait l'autre : de toute façon la vie, la vérité est ailleurs, dans un ailleurs que nous n'atteindrons jamais. Il me semble que la dimension romanesque est nettement plus parlante : Ecce Homo est l'ultime pierre de l'édifice, celle qui le termine et qui, poids trop lourd, le fait s'effondrer. On n'arrive jamais, on ne fait que partir, et le départ de Nietzsche est soigné. Quel comédien parfait.


Avec ces vraies fausses confessions Friedrich ne cherche qu'à s'assurer une chose : que ceux qui voudront se tromper sur ce qu'il aura été pour l'humanité puissent le faire en toute quiétude. C'est le Christ qui offre le fouet à son bourreau, garçon c'est ma tournée ! Plus il est sincère et plus il ment, mais en même temps plus il ment et plus il est sincère. Lui qui aura chanté la Vie, la Joie et l'Ivresse de la puissance pure, lui qui aura vomi l'esprit de vengeance et le ressentiment, au dernier moment sent qu'il faut un Sacrifice. Comment mieux terrasser son ennemi qu'en lui volant son arme même pour se la planter dans le cœur ? La probité n'est valable que poussée jusqu'au bout, elle n'est pas un principe elle est un anéantissement : non content de se déclarer "le destructeur par excellence" il le prouve dans les faits et sur sa propre personne en adoptant rageur la formule de ses ennemis : "charité bien ordonnée commence par soi-même". Rideau.

Chaiev
9
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le 23 mars 2013

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