Plus de dix ans après la première parution du Repères intitulé Théorie de la régulation. 1. Les fondamentaux (2004), voici la suite, qui se présente sous la forme d'un deux en un : Économie politique des capitalismes. Théorie de la régulation et des crises reprend le tome paru en 2004 (qui constitue la première partie de l'ouvrage) et ajoute une seconde partie intitulée : « Les développements ».


Brève présentation du courant régulationniste et de l’ouvrage


La TR se veut une synthèse entre l’histoire économique et les pensées marxienne et keynésienne. Elle s’est développée à partir du début des années 1970 (voir p. 325-330 de l’ouvrage pour une chronologie). Elle est guidée par un ensemble de questions dont les plus importantes se rattachent au capitalisme : comment ce système économique fonctionne, peut être stable pendant un certain temps puis se dérégler et connaître des crises (plus ou moins sévères) de manière endogène, parfois du fait même de son succès (e.g. le fordisme) et qui le conduisent à se transformer. Une interrogation qui n’a rien perdu de son actualité.


Pour y répondre, la TR a développé un appareillage conceptuel allant des cinq formes institutionnelles (qui permettent au capitalisme de fonctionner) au mode de régulation, en passant par le régime d’accumulation et une typologie des crises. Autant d’éléments qui sont discutés en première partie avec des contributions allant des années 1970 au début des années 2000.


La seconde partie du livre présente des travaux souvent plus récents en direction de la microéconomie, de la macroéconomie, des relations internationales, de la science politique voire de la sociologie (économique notamment). Il est ainsi question de la théorie de l’action (rapprochement avec la notion d’habitus…), de la diversité des capitalismes, du changement institutionnel, de l’Union (ou Désunion) Européenne, de la Chine, de la marche vers l’internationalisation des économies…


Du côté de la méthode choisie, les lignes qui précèdent indiquent déjà que la TR n’est pas une farouche partisane du raisonnement dans un cadre parfaitement concurrentiel avec des individus aux anticipations rationnelles. Si la théorie de la régulation ne rejette pas la modélisation mathématique, elle sait aussi faire appel à d’autres outils : analyses des réseaux, emprunt à la physique-statistique… Cela lui confère une remarquable capacité d’adaptation et d’évolution, avec une logique plutôt inductive qui ne place pas l’accent sur les prédictions (voir notamment p. 195-198) ni sur les politiques économiques à suivre – ce qui n’est pas sans susciter quelques remarques (différents choix de politiques économiques ne sont-ils pas possibles au sein d’un mode de régulation ?) qui nous conduisent vers le deuxième moment de cette revue.


Discussion critique


On ne peut que saluer la présence d’un tel ouvrage en langue française, qui permet de disposer d’une synthèse utile, riche, qui devrait intéresser bon nombre de curieux en sciences économiques et sociales, surtout s’ils ont déjà entendu parler de ce courant lors de leur parcours scolaire. Surtout que la présence de nombreux tableaux et graphiques permet de condenser et récapituler le propos de l’auteur ce qui est pédagogique et efficace pour retenir quelques passages parfois denses et mieux situer les différentes thématiques abordées.


Pour autant, l’architecture du livre pose question : en reprenant tel quel le premier tome et en choisissant un fil directeur assez nettement chronologique, le propos laisse à penser que les fondamentaux de la TR n’ont pas été remis en question au fil du temps et empêche de hiérarchiser les apports intervenus depuis les origines jusqu’à nos jours. Un exemple : la question écologique se trouve évoquée en deuxième partie comme une possible 6ème forme institutionnelle. Pourquoi ne pas avoir inséré cela en première partie ? Plus généralement, il est dommage que ne figure pas un retour réflexif sur l’évolution (éventuelle) des concepts au cours du temps.


De plus, si le propos tance l’économie mainstream pour la maigre place réservée à l’histoire, on ne peut pas dire que l’on soit mieux servi avec l’ouvrage, où les mentions à « l’histoire longue du capitalisme » sont rarement accompagnées de références ou alors celle du seul Fernand Braudel (rien de nouveau à signaler après lui ?). Idem au sujet de la sociologie ou à propos de certains concepts où des noms d’auteurs sont évoqués sans que l’on ne rentre dans les détails.


Enfin, on reste quelque peu frustré dans la confrontation entre la TR et l’économie mainstream (micro’, macro’, économie internationale…). Bon nombre d’insuffisances de la microéconomie de base sont pointées, tout comme celles de la macroéconomie nouvelle classique mais cela passe sous silence nombre de travaux contemporains mettant l’accent sur le rôle des institutions (ils sont évoqués en conclusion, rapidement), et levant plusieurs hypothèses du modèle de base, atténuant le fossé entre les courants et posant la question d'un vaste rapprochement. Aussi, les critiques portées manquent parfois leur cible. Peut-être une telle discussion aurait-il rallongé un ouvrage déjà dense de 324 pages aussi cette option sera peut-être explorée dans un autre livre ou par un autre auteur.


Conclusion


En dépit des critiques qui précèdent l’ouvrage Économie politique des capitalismes fait partie de ceux qu’il faut lire, ne serait-ce que pour aller au-delà des présentations, parfois très superficielles, qui sont données de la théorie de la régulation. Travail de synthèse remarquable, dense, il ne pourra que stimuler intellectuellement celles et ceux qui veulent comprendre le système économique dans lequel ils évoluent. Comprendre pour, éventuellement, lui commander, voilà qui n’est pas sans nous ramener vers Francis Bacon et son Novum Organum.


Version un peu plus longue de cette revue (et avec quelques graphiques) par ici.

Anvil
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le 16 sept. 2016

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