Il y a des lectures où on s'emmêle. En lisant ce court roman qui ouvre l'énorme compilation de Romain qu'on a emporté jusqu'au fin fond du Cambodge, j'avais l'impression de revoir une autre enfance, celle d'Ivan, qui m'avait déjà un peu retourné.

Les ingrédients sont un peu les mêmes ; des nazis, des russes, et cette fois nous sommes entre les, deux, c'est l'hiver quarante-deux, en mangeant les derniers patates, on attend des nouvelles de Stalingrad parce que ça sera la victoire de la liberté.

L'Education Européenne est une éducation violente, elle se fait sur le terrain des massacres ; on suit un écolier, Janek ; son père l'aide à se cacher dans la forêt, il joue aux indiens, se prend pour un peau rouge et se terre seul dans la neige, et l'éclat de son père. Et il y a les Partisans, un peu fous, un peu perdus, avec leurs vagues espoirs et leurs abandons. Et il y a la Division Das Reich, qui est restée célèbre à travers le siècle et jusque chez nous, c'est vous dire la grandeur de leurs faits d'armes. Et il y a Zossia, la petite de quinze ans, qui ramène des confidences des oreillers nazis - qui sont plutôt des arrières de camion -, et ces étudiants, maladifs, courageux et désespérés qui se lisent leurs poèmes en attendant une action d'éclat. Il y a aussi ce fabricant de jouet, et ce patineur maladroit, et les larmes du héros qui éclatent soudainement, et je vois le visage blond, brisé, d'Ivan qui ne semble pas vouloir sortir de mon souvenir. Et cette histoire de douceur adolescente cachée sous des bâches et des peaux de moutons. La magie de la musique classique, comme pour couronner le tout, apporter à cette neige sa grandeur immaculée. En attendant le chant des rossignols.

Livre violent, livre merveilleux. J'aime ces enfants dans des univers trop grands pour eux, trop durs pour eux. Ou c'est l'inverse, je suis touché par cette destruction brutale de l'enfance, par cette nécessité pour eux de garder le plus longtemps un lien magique avec la vie qui s'en va ; qui n'a plus rien à faire là. Dans l'Europe des plus grandes universités, des plus belles cathédrales et des théâtres, c'est sans doute tout ce qu'on a offrir, l'apprentissage de la haine, de la violence. Jusqu'à cette scène sur le lac gelé. Qui est peut-être la fin.

Il y a bien un épilogue, mais quel intérêt quand tout est déjà brisé à l'intérieur.
JZD
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le 2 mars 2012

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J. Z. D.

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