Comme souvent dans cette belle collection, on a une mise au point utile invitant à de très nombreuses lectures/visionnages en lien avec le sujet. L'auteur est enseignant d'histoire, et l'on sent que le livre est nourri d'années d'expérience sur l'enseignement de la Shoah. En bon pédagogue, l'auteur est très conscient des différents écueils à éviter pour ne pas donner une image déformée de la Shoah.

On peut reprocher à l'ouvrage un paratexte un peu avare : si les notes de bas de page sont intéressantes, on manque de cartes, de plans, d'un index, et au niveau iconographique, c'est chiche. Ce qui peut certes se comprendre sur de tels sujets.

L'ouvrage fournit un état des lieux mûrement réfléchi et approfondi à l'époque de sa date de parution, soit 2004 (année de sa troisième réédition). La BD Maus d'Art Spiegelmann n'est pas encore parue en français à l'époque, mais on retrouvera des réflexion sur des ouvrages canoniques comme Nuit et Brouillard de Resnais, Shoah de Lanzmann ou Primo Levi.

L'introduction part d'un fait divers oublié, mais qui avait choqué à l'époque : une fresque en graffiti sur une baraque de Birkenau. (Mon Dieu, s'il savait pour les selfies aujourd'hui...). Et revient sur le fait qu'aborder ces sujets nécessitera un équilibre constant entre réflexion et émotion, l'un ne pouvant aller sans l'autre quand il est question de Shoah.

Chap. 1 - Une mémoire menacée, un langage à retrouver.

Ce chapitre revient sur quelques débats historiographiques, comme Nolte comparant les camps nazis aux camps staliniens, l'unicité de la Shoah, le long déni français, le renouveau du négationnisme qui exige de redoubler de rigueur... Il revient sur les tentatives maladroites d'appropriation de ce passé par Jean-Paul II (qui avait côtoyé des antisémites). Il met en garde contre une lecture sans filtre des récits de déportés, en prenant l'exemple de La nuit d'Elie Wiesel, qui a visiblement une ambition littéraire et peut aller dans l'hyperbole (rappel difficile et salutaire). De même Kurt Gerstein, qui livra un rapport au Vatican, grossit les chiffres de manière invraisemblable, mais ne se trompe pas sur la description du fonctionnement des chambres à gaz. Ou encore des confusions que peut faire naître le montage de Nuit et brouillard, peu rigoureux.

Chap. 2 - Témoignages et documents : chroniques de la barbarie au quotidien

De manière salutaire, Forges rappelle qu'avant de sauter sur la destruction, il est utile de montrer ce monde yiddish qui a disparu, celui des villes et celui du shtetl. Les lettres de familles juives demandant à la préfecture de Paris des nouvelles de membres de leur famille déportée ont aussi une forte émotion à transmettre. Il revient sur divers lieux de mémoire : Izieu, Auschwitz bien sûr, quand les autres sites se révéleront arides car vides de tout vestige. Il faut aborder d'autres sujets, comme les massacres qui précèdent les chambres à gaz, avec l'exemple des hésitations de la VIe armée de la Wehrmacht face aux exactions dont ils sont témoins de la part de leurs camarades SS (récit de la résistance de l'officier Groscurth. Résistance qui saute au cours de l'été 1941. Renvoi à de rares images d'archives à ce sujet. Paragraphe sur le visage de Krystyna Trzeniewska comme parabole du Lager.

Chap. 3 - Shoah de Claude Lanzmann : arpentage et résistance.

Un retour sur des séquences marquantes de la somme de Lanzmann (que je n'ai toujours pas vue...), qui explicite la démarche de ce personnage à part, qui se voit tout de même un peu comme une figure virile de justicier venu mettre les bourreaux face à leurs actes, ce qui se comprend.

Chap. 4 - L'oeuvre de Primo Levi : la mémoire retrouvée.

Sur ce qui fait que Levi est l'auteur par excellence sur le système des camps, par son souci de vérité et de limpidité. Le texte a le mérite de ne pas se cantonner à si c'est un homme, mais aussi au Naufragés et aux Rescapés, sur la question du retour et de la postérité de la Shoah.

Chap. 5 - De la mémoire à la résistance.

Ce chapitre revient sur des écueils qui menace la mémoire d'Auschwitz, comme la banalisation à travers la comparaison avec des drames contemporains. La mémoire d'Auschwitz doit inviter à la réflexion sur la violence et l'humiliation, et Forges fait un parallèle sur la tradition des bizutages (et je me souviens que c'était une question d'actualité quand j'ai commencé mes études en classe prépa parisienne).

Chap. 6 - Eduquer contre Auschwitz.

La conclusion dresse la nécessité de lutter contre le glamour autour du nazisme que fantasment les néonazis. Et aussi que la principale leçon d'Auschwitz est la rapidité avec laquelle des êtres humains basculent dans la barbarie.

zardoz6704
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le 12 juin 2023

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