Hannah Arendt rend compte de son analyse du procès d'Adolf Eichmann, auquel elle est allé assister à Jérusalem. Cet homme fut Chef de bureau allemand, chargé de la solution finale, sous la Seconde guerre, d'où l'idée de l'Etat d'Israël de le juger, ce qu'il parvint à faire, après son kidnapping à Buenos Aires, sur ordre du Premier ministre, David Ben Gourion.
Le climat politique est tendu, et la Shoah encore une affaire très sensible, ... surtout en Israël.
L'intéressé n'avait pas pu être jugé à Nuremberg. Cela incite l'éminente politologue - et philosophe tout de même - à analyser le pourquoi et le comment du procès, plus précisément du jugement.
Si Nuremberg était un tribunal des forces alliées, celui de Jérusalem est celui des victimes, associées aux vainqueurs.
Par ailleurs, et c'est là qu'est née une très forte polémique de ce livre, Hannah Arendt s'interroge sur l'opportunité, non tant de le faire comparaître, mais de le faire passer pour l'instigateur démoniaque du pire, de l'incompréhensible. En effet, selon elle, Eichmann n'incarne que l'allégorie de ce qu'elle appelle "la banalité du mal".
Cet homme, aux traits du parfait pauvre type, n'a été qu'un formidable exécutant, ayant su, à merveille, prendre la distance nécessaire pour exécuter le commandement de l'autorité légitime, en l'espèce qui assurait la tutelle administrative du service qu'il dirigeait.
Et c'est justement la principale ligne de défense de l'accusé, dont l'issue, à l'aboutissement du procès, ne fait guère de doute : coupable, il est pendu.
Hannah Arendt ne lui cherche pas véritablement de circonstance atténuante, mais elle rappelle l'ambivalence de son rôle, qui en fait toute la particularité, et qu'il n'a justement pas su faire valoir à l'audience : s'il voulait se débarrasser des Juifs, il était sioniste, et était donc favorable à les expédier en Palestine, au point d'avoir entamé des négociations avec des représentants de ces thèses.
Cette chronique judiciaire permet, en réalité, à l'auteur, une analyse du système politique, technico-administratif, d'élaboration d'une politique publique criminelle, en l'espèce génocidaire.
Et l'auteur va un peu plus loin, en avançant que l'extermination de ce peuple a été facilitée par l'absence de mobilisation, qu'a notamment permis le manque d'institutions représentatives de défense des intérêts de ce peuple en péril, qui n'a probablement pas cru bon accréditer l'hypothèse du pire. Et c'est en cela que ce livre a fait polémique.
Quelle que soit l'opinion exacte que la lectrice ou le lecteur peut se faire du contexte, elle/il doit constater que Hannah Arendt prend la distance nécessaire avec le sujet d'étude pour l'analyser froidement, et ses arguments sont nettement étayés par des rappels historiques et des démonstrations solides, qu'il appartient à chacun de partager ou non ; mais force est de constater qu'ils se tiennent, et qu'ils ne détiennent pas la force polémique qui leur a été prêtée.
L'erreur, s'il n'y en a une, est probablement d'avoir écrit trop tôt, sur un sujet porteur d'une douleur encore vive, dont la discussion distanciée, donc nuancée, ne pouvait alors apparaître que comme indicible, voire obscène. Aussi est-elle morte assez tôt.
En tout cas, il s'agit d'un ouvrage essentiel sur la technocratie nazie, sur l'élaboration de la politique internationale et raciale du régime, qui est finalement l'apport premier d'analyse du livre.